Opinion
Thomas Nierle, président et Bruno Jochum, directeur général de MSF Suisse, lancent un cri d'alarme après la destruction de deux hôpitaux en Afghanistan et au Yémen le mois dernier. Une manifestation aura lieu à Genève mardi 3 novembre

Le 3 octobre, vers deux heures du matin, un raid aérien mené par les forces spéciales américaines a ciblé l’hôpital de Médecins Sans Frontières (MSF) de Kunduz en Afghanistan. Plusieurs bombardements y ont entraîné la destruction complète du bâtiment central. L’attaque, qu’on peut aussi qualifier de massacre, a eu des conséquences dramatiques: 30 personnes ont perdu la vie – 10 patients, 13 membres du personnel de MSF et 7 autres dont les corps n’ont pas encore pu être identifiés. 37 autres personnes ont été blessées. Malgré les demandes répétées de MSF de faire cesser le bombardement de l’hôpital, le raid s’est poursuivi pendant plus d’une heure.
Cet hôpital à Kunduz, opérationnel depuis 2011, est l’un des rares centres de traumatologie fonctionnel dans le nord de l’Afghanistan. Des milliers d’interventions chirurgicales y sont effectuées chaque année et une assistance médicale essentielle y est fournie à tous les patients, sans distinction d’origine ni d’affiliation politique, conformément aux Conventions de Genève. Dans la semaine qui a précédé cette terrible attaque, 394 patients y étaient pris en charge.
Le 27 octobre, l’hôpital de Haydan au Yémen est également bombardé par la coalition arabe en guerre avec les rebelles houthis. Dès les premières bombes, l’hôpital a pu être évacué évitant des pertes humaines, mais la population de la province de Saada (200 000 personnes) est privée du seul centre hospitalier à sa disposition. C’est encore un hôpital détruit de la sorte, dans une guerre où les écoles, les marchés, les infrastructures civiles sont quotidiennement ciblés au même titre que des objectifs militaires.
Pourquoi de tels bombardements?
Au-delà de l’intense douleur ressentie à la perte de nos collègues et patients, la question «pourquoi?» vient très vite à l’esprit. MSF a demandé une enquête indépendante afin d’élucider les circonstances du massacre à Kunduz et d’obtenir des explications. La compréhension des raisons d’une attaque contre la mission médicale est essentielle afin d’évaluer les risques pour nos équipes de continuer à opérer dans un environnement hostile, afin de garantir pour les populations la possibilité même de survivre au cœur du conflit.
Au fond, les armées régulières et forces spéciales se considèrent – elles encore liées par leurs engagements de respect des structures médicales actives en zone de conflit? Dans leurs divers communiqués, les responsables se cachent systématiquement derrière des explications de type «dommages collatéraux», «erreurs malheureuses» ou, de manière perverse, rejettent la faute sur les médicaux qui soignent les blessés de la partie adverse.
Mais, un hôpital fonctionnel ne se bombarde pas, tout simplement et en aucune circonstance! Il ne s’agit pas seulement du respect de la législation internationale – notamment les Conventions de Genève – qui vise à épargner la population civile des effets dévastateurs de la guerre ou du respect des «règles d’engagement» des armées modernes, qui interdisent – y compris en cas de présence de combattants actifs dans la structure médicale – les attaques sans qu’un avertissement soit donné permettant l’évacuation de la structure. Il s’agit surtout de bon sens – un hôpital avec son personnel et ses patients à l’intérieur ne se bombarde pas!
Un hôpital, lieu d'espoir, lieu d'humanité
Un hôpital est le lieu dans lequel se concentrent les plus vulnérables en temps de guerre – les malades et les blessés. C’est un lieu d’espoir, un lieu d’humanité au sein d’un chaos souvent meurtrier. Que diraient les Suisses, si soudainement leur hôpital de proximité était pulvérisé, et toute possibilité de soins médicaux annihilée? Peut-on demander aux Afghans, aux Syriens ou aux Yéménites de subir ce que nous-mêmes n’accepterons jamais? La violence gratuite n’a pas de place dans une structure de santé.
Malheureusement, s’ils sont spécifiques, les événements de Kunduz et de Haydan ne sont pas des cas isolés. Les structures de santé sont – d’une manière incompréhensible – devenues une partie intégrante de la zone de guerre. De l’Afghanistan au Yémen, de la Syrie aux deux Soudan, de l’Irak à la Somalie. Ce n’est pas seulement un problème pour MSF, mais un problème pour tous les professionnels de santé travaillant dans les pays en conflit et par conséquent pour des millions de personnes vivant aujourd’hui dans le théâtre des guerres.
Dans un monde en train de se radicaliser, où la logique du «vous êtes soit avec nous soit contre nous» a gagné du terrain, où les espaces de négociation sont réduits à peau de chagrin, l’action humanitaire – a fortiori médicale – risque d’être sacrifiée au nom de raisons supérieures toujours plus cyniques. La fin justifie les moyens sans principe ni valeur. Comment s’étonner ensuite du niveau de désespoir qui pousse des populations entières sur les routes de l’exil?
Il est de la responsabilité de tous de se mobiliser et de demander d’une manière insistante aux politiques, gouvernements et groupes armés non étatiques de respecter les espaces de soins médicaux. Nous serons à la Plaine de Plainpalais à Genève ce mardi 3 novembre à 13 heures pour crier haut et fort: «Arrêtez de bombarder les hôpitaux!»
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