Dans ces conditions, seul l’État, ou un surveillant désigné par lui, peut exiger des banques de lui ouvrir tous leurs livres et, même, instaurer diverses mesures en vue de protéger les épargnants, incitant ainsi ceux-ci à replacer leurs fonds dans le circuit économique. Malgré cela, certains continuent et continueront de rabâcher les soi-disant avantages dont l’économie bénéficierait si tout un chacun évaluait lui-même la solvabilité de ses intermédiaires financiers. C’est là évidemment le signe typique d’une idée reçue mal analysée, encore que, dans ce cas, une simple réflexion de bon sens permet de comprendre pourquoi elle est erronée ou inapplicable. D’autres sont, toutefois, plus compliquées à décortiquer comme les conséquences qu’on tire souvent de comparaisons superficielles entre des entités semblables en apparence, mais différente en réalité
Par exemple en France où les dépenses publiques atteignent quelque 57% du PIB, on pense presque automatiquement que c’est l’État lui-même qui produit quasi les deux tiers des biens et services. Or, les données de l’institut de la statistique (INSEE), montrent que c’est loin d’être le cas. Outre-Jura, les administrations publiques au sens large – avec tout le millefeuille institutionnel hexagonal, comme on aime à le dire aujourd’hui – produisent le 15% du PIB nominal, soit une proportion semblable à celle des autres pays européens. Cette part représente la valeur des services que l’État fournit directement à l’économie, valeur mesurée en règle générale par la paye des fonctionnaires produisant ceux-ci, entre autres la solde des militaires, le salaire des enseignants et les émoluments des bureaucrates. À côté de ces contributions à la production, les pouvoirs publics achètent des biens et des services aux entreprises, parmi lesquels l’Airbus présidentiel, les voitures ministérielles et le mazout pour chauffer les bureaux, ce qui représente quelque 15% supplémentaires du PIB. Le reste des 57%, ce sont les dépenses de transfert, prélevées sur le revenu ou la fortune des contribuables en apparence aisés en faveur des habitants en principe défavorisés comme les allocations de chômage, les subventions directes, etc....
Lesquels, alors, parmi ces trois types de dépenses sont les plus efficaces? Nul ne peut le dire sans autre. Les transferts réduisent l’épargne globale et gonflent la demande finale, ce qui est fort utile à l’économie en cas de sous-emploi, mais pas en situation de surchauffe. Les achats de biens et services jouent le même rôle, car l’État favorise le plus souvent les producteurs nationaux, mais ceci peut maintenir en vie des canards boiteux forts onéreux à la longue. Enfin, la production directe des fonctionnaires pourrait parfois être réalisée plus efficacement par le secteur privé, mais pas toujours comme, par exemple, dans le cas des monopoles naturels. Ces inconnues ne concernent évidemment pas que la France, mais tous les pays, si bien que comparer dépenses publiques et PIB nominal ne veut en général pas dire grand-chose.
Comme, dans un autre domaine, on se méfiera des considérations sur la soi-disant trop faible participation électorale des citoyens qui biaiserait si bien les résultats des votes que ceux-ci ne seraient pas les mêmes si plus de monde se rendait aux urnes. Or, dans ce cas aussi, cette idée est la plupart du temps erronée. Si les abstentionnistes votaient, il n’y a en effet pas de raison de penser que, sauf boycott manifeste, leurs voix se répartiraient différemment que celles qui se sont effectivement exprimées. Autrement, les sondages préélectoraux, où seule une infime fraction des citoyens est interrogée, seraient systématiquement faux, ce qui n’est manifestement pas le cas. Dans nos sociétés et pour un vote binaire – oui/non, Dupont contre Dupond –, l’erreur d’échantillonnage autour du résultat tourne aux environs des 3% si 1000 personnes sont questionnées. Et cette erreur diminue comme la racine carrée du nombre de sondés, tombant à 1% pour 100’000 électeurs interrogés, à 1‰ même pour 1 million. Une votation n’étant dans le fond rien d’autre qu’un sondage à grande échelle, au cas où, sur deux millions d’électeurs inscrits, seule la moitié votait, le verdict des urnes serait identique à 1000 voix près – une différence infime en pratique – à celui qu’on aurait obtenu si tous les électeurs s’étaient exprimés. Le 9 février dernier en Suisse par exemple, les 20’000 voix d’avance des partisans du oui constituaient sans doute un écart assez grand sur 3 millions de votants pour que le résultat ne changeât pas si plus de Suisses avaient voté ce jour-là. Dans les cas plus fractionnés comme, par exemple, un vote par circonscription, les sondages sont certes nettement moins précis, mais il est probable, sauf cercle électoral très restreint, que les résultats électoraux ne dépendent là aussi pas du taux de participation, pour peu que ce dernier demeure raisonnable, mettons 10% au moins.
Ne jetons donc plus l’opprobre sur les abstentionnistes. Au lieu d’aller voter, le citoyen d’une démocratie a bien le droit de prendre le soleil, de déchiffrer des hiéroglyphes ou de dormir. Après tout, ce n’est pas un hasard si c’est en Corée du Nord que la participation est de 100%.