En tant que chercheurs et chercheuses, juristes, sociologues, historiens et historiennes, géographes, spécialistes des prisons, nous dénonçons l’usage qui est fait de la détention avant jugement à Champ-Dollon et de la détention administrative à la Favra et Frambois par les autorités genevoises. Deux cas récents ont à nouveau illustré l’indigence des conditions d’incarcération et le mépris des droits fondamentaux des personnes privées de liberté.

Le 15 mars 2023, un militant accusé d’avoir détruit des véhicules du cimentier LafargeHolcim en janvier 2022 a été arrêté et placé en détention provisoire à Champ-Dollon. Juste à côté de l’aile où Jérémy* est incarcéré se trouve la plus petite prison de la Favra, qui enferme des personnes sans titre de séjour en vue de leur renvoi. Le 8 avril dernier, un jeune homme d’origine tunisienne s’y suicidait. Les jours suivants, une dizaine de détenus ont signé une pétition pour réclamer leur libération.

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Les conditions de vie à la Favra sont indignes et ne respectent pas l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif à l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants, ce qui a été récemment confirmé par le Tribunal administratif. Lors de l’audience, les témoignages font état de conditions de vie insalubres, de promenades dans une petite cour bétonnée et grillagée qui n’est même pas accessible à tous, faute de personnel, de punitions humiliantes en réponse aux signaux de détresse, d’absence d’intimité et du manque d’accès à internet. Un des témoins a dit qu’il ne voulait pas venir à l’audience pour ne pas devoir subir la fouille à nu avec flexion pour vérification des parties intimes à son retour. Par ailleurs, la détention administrative ne doit être utilisée qu’en dernier recours comme le demandent les organes supranationaux de protections des droits humains.

A Champ-Dollon aussi, les conditions d’incarcération sont indigentes. Cette prison est notoirement surpeuplée. Les cellules initialement prévues pour une ou deux personnes sont maintenant équipées de six places de couchage en lits superposés. Jérémy* vit au quotidien avec quatre autres détenus 23 heures sur 24 dans une cellule de quelques mètres carrés. Les relais dont dispose ce militant nous permettent de saisir sa situation et de la dénoncer, alors qu’elle concerne, chaque année, des centaines d’autres personnes moins capables de faire connaître leur sort au public. Rappelons qu’en 2020, durant la pandémie, une étude réalisée à Champ-Dollon a constaté une augmentation de 57% d’actes tels que des pendaisons, strangulations et ingestions massives de médicaments.

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Quelle solution à la suroccupation de Champ-Dollon est-elle proposée par les autorités? L’augmentation du nombre de places en prison! Elle traduit une vision à court terme, qui ne réglera le problème que très temporairement, avant que les établissements soient à nouveau surpeuplés. L’histoire des prisons genevoises n’est que la répétition de ce même phénomène: construire un nouvel établissement bientôt tout aussi rempli, parce que le réel problème n’est pas le nombre de places de détention, mais le fait d’y enfermer des personnes.

Dénoncer aujourd’hui l’usage et les conditions de la privation de liberté nous incite aussi à contester une autre pratique d’enfermement scandaleuse, l’exécution des mesures thérapeutiques. Celles-ci ne sont que très rarement accomplies dans des établissements spécialisés, mais surtout dans les prisons ordinaires, ce qui plonge les personnes concernées dans une très grande détresse.

Il est grand temps d’abandonner le modèle carcéral et de repenser sérieusement notre façon de «faire justice».

Signataires: Alix Heiniger, professeure assistante en histoire contemporaine; Luca Gnaedinger, doctorant en géographie; Quentin Markarian, doctorant en droit de la privation de liberté; Cézane Beretta, doctorante en histoire contemporaine; Veronica Pagnamenta, anthropologue et collaboratrice scientifique; André Kuhn, professeur ordinaire de droit pénal et de criminologie; Christian-Nils Robert, professeur honoraire, ancien expert CPT (Conseil de l’Europe); Daniel Lambelet, psychosociologue, professeur associé HES; Anouk Essyad, doctorante en histoire contemporaine; Joanna Baumann, doctorante en droit pénal

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