Investissement dans l’audiovisuel suisse, tout le monde à la même enseigne
Opinion
OPINION. Dans le Message culture qui sera discuté au Conseil national la semaine prochaine, le Conseil fédéral propose d’étendre l’obligation d’investir 4% des recettes brutes dans l’audiovisuel et le cinéma suisses à l’ensemble des services qui proposent des films. L’adoption de cette loi sera doublement positive, écrivent plusieurs associations de production audiovisuelle et de cinéastes

A l’heure actuelle, les chaînes de télévision suisse ont l’obligation d’investir 4% de leurs recettes brutes dans l’audiovisuel et le cinéma suisses. Dans le Message culture qui sera discuté au Conseil national la semaine prochaine, le Conseil fédéral suggère d’étendre cette obligation à l’ensemble des services qui proposent des films (entendez plateformes de streaming et de vidéo à la demande). Ce projet de loi coule de source, puisqu’il s’aligne sur la législation européenne et ne fait que reconnaître l’évolution des modes de diffusion et de consommation de l’audiovisuel.
Principe de l’égalité de traitement
Pour les entreprises qui seraient concernées par cette nouvelle disposition, l’opposition est forte, Swisscom en tête. S’il est de bonne guerre que des entreprises résistent à une contrainte sur leurs investissements, on comprend moins facilement la position des partis qui les défendent. Le principe de l’égalité de traitement est un fondement de l’Etat de droit suisse, garant de conditions-cadres favorables à une économie libérale. Personne ne conteste le fait que le paysage audiovisuel a fortement évolué au cours des dix dernières années. L’audiovisuel n’a jamais été autant consommé, mais ce n’est plus en regardant la télévision linéaire uniquement, mais aussi et de plus en plus sur internet sur des plateformes de streaming en abonnement comme Netflix, ou de VOD comme Bluewin TV. Dans la situation actuelle, non seulement la télévision perd chaque année des parts de marché au profit des plateformes, mais en plus elle subit une concurrence déloyale puisqu’elle est la seule à être soumise à l’obligation d’investissement. L’explosion du succès des plateformes durant la crise du Covid-19 n’a fait que renforcer ce déséquilibre. Il est de la responsabilité du parlement de suivre l’évolution du marché et d’adapter le cadre législatif en conséquence, afin de préserver l’égalité de traitement.
En attaquant le projet de loi, Swisscom révèle une réalité qui devrait scandaliser les citoyen·ne·s de ce pays
Cela dit, la SRG SSR ne souffre pas de l’obligation d’investissement dans le cinéma et l’audiovisuel indigènes. En adéquation avec son rôle de service public, elle collabore spontanément avec l’industrie de l’audiovisuel indépendant, que ce soit pour produire et coproduire des œuvres, ou pour en acheter pour la diffusion. Cela devrait être le cas pour Swisscom également, en tant qu’entreprise de service public appartenant à 51% à la Confédération. En attaquant le projet de loi, Swisscom révèle une réalité qui devrait scandaliser les citoyen·ne·s de ce pays: Si 4% d’investissement des recettes brutes en lien avec la diffusion de films est un problème pour Swisscom, cela veut dire qu’à ce jour l’entreprise de télécommunications n’en investit pas déjà autant dans l’audiovisuel suisse!
Déjà en vigueur en Europe
Les arguments des opposants ne tiennent pas debout. Les entreprises suisses telles que Swisscom ou UPC prétendent qu’il sera impossible d’imposer la réglementation aux entreprises étrangères et que cela finira par désavantager les sociétés basées en Suisse. Pourtant cette obligation d’investissement est déjà en vigueur en Europe et son application ne pose aucun problème. Au contraire, on remarque déjà un accroissement des films et séries européens dans les catalogues des plateformes. Netflix s’est dit prête et intéressée à investir dans l’audiovisuel suisse.
L’opposition de Netflix repose notamment sur le fait que le projet de loi limite les investissements uniquement aux films, à l’exclusion des séries. C’est un malentendu sur le terme «film» dans le texte législatif. Selon la définition inscrite dans cette même loi, les séries comptent aussi comme des «films».
L’adoption de cette loi sera doublement positive puisque, d’une part, elle ne coûte rien à la Confédération et que, d’autre part, elle aura pour effet d’augmenter les moyens du secteur audiovisuel suisse, en grande difficulté dans la situation pandémique actuelle. Nous espérons que les Chambres fédérales suivront la recommandation de la Commission de la science de l’éducation et de la culture et accepteront le projet de loi du Conseil fédéral.
*AROPA — Association Romande de la Production Audiovisuelle
Cinéforom — Fondation Romande pour le Cinéma
GARP — Groupe Auteur·e·s Réalisateurs·trices Producteurs·trices
SFP — Swiss Film Producers’ Association
IG — Unabhängige Schweizer Filmproduzenten
Antenne Romande, un groupe d’intérêt de l’Association Suisse des Scénaristes et Réalisateurs·trices de Films
GSFA — Groupement Suisse du Film d’Animation
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