Il fut un temps où cela aurait embarrassé les autorités. Ebrahim Raïssi a remporté près de 62% des voix selon les chiffres officiels, et pourtant moins d’un électeur sur deux (48,8%) s’est déplacé aux urnes, le plus bas taux de participation jamais enregistré pour une présidentielle. Dans ce régime unique au monde, le guide suprême a certes le dernier mot sur les affaires de l’Etat. Mais la soupape de sécurité résidait dans une forme de compétition – toute relative – autour des autres postes clés. L’élection présidentielle en constituait la face la plus visible pour le monde extérieur, et il importait ainsi que le plus grand nombre y prenne part. C’est ce qui permettait à l’Iran post-révolutionnaire de faire coexister cet étrange attelage nommé «République islamique».

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Si ce taux de participation historiquement bas n’est plus la principale préoccupation du système, c’est qu’il fait face à un enjeu existentiel: la succession au poste de guide suprême. Ali Khamenei a 82 ans et une santé chancelante. Or il n’est que le second titulaire de ce poste. Le premier, l’ayatollah Rouhollah Khomeiny, a accompagné son règne d’une mobilisation totale de la société iranienne, entre hostilité des Etats-Unis, guerre avec l’Irak et épuration de l’opposition. Son successeur a bénéficié de cette aura. Le troisième homme qui occupera cette fonction aura la lourde tâche de reprendre le flambeau d’un régime dont l’héritage révolutionnaire n’est plus un argument suffisant.

Système dépourvu de contrepoids

Jusqu’à l’élection de vendredi, la République islamique se trouvait ainsi face à un dilemme. D’une part, les cycles de violence qui reviennent avec une régularité stupéfiante chaque décennie ont miné sa légitimité: exécutions en masse d’opposants en 1988, répression contre les étudiants en 1999, du mouvement vert en 2009, des plus pauvres en 2019. De l’autre, le système tentait, depuis l’élection du réformateur Mohammad Khatami en 1997, de canaliser ces contestations à travers une forme de compétition politique.

L’élection d’Ebrahim Raïssi résout ce dilemme car, après la mise à l’index des réformateurs dès 2009, voici que les modérés – dont le président sortant Hassan Rohani – perdent eux aussi voix au chapitre. Les ultra-conservateurs, qui contrôlaient déjà les pouvoirs législatif et judiciaire, détiennent enfin tous les leviers. Mais cette victoire est à double tranchant: s’ils peuvent préparer l’inéluctable transition au sommet de l’Etat, ils seront désormais seuls comptables des dysfonctionnements d’un système dépourvu de tout contrepoids, aussi fictif soit-il.

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