«Mon bras, qu’avec respect toute l’Espagne admire,
Mon bras, qui tant de fois a sauvé cet empire.»
Corneille, «Le Cid».
François Hollande se retrouve au plus bas des sondages et au cœur d’une dynamique éditoriale qui ne va pas améliorer sa cote de popularité. Il est pourtant une chose qu’il a parfaitement réussie: sa fulgurante anaphore «Moi, président…» lors de son débat télévisé avec Nicolas Sarkozy.
Le nouveau premier ministre qui apprend vite et sourit peu a retenu la leçon. Lors de la présentation du plan d’économies devant les députés mardi, Manuel Valls s’est lui aussi lancé dans une anaphore épique. «J’assume les choix qui sont faits! J’assume, car c’est le choix de la cohérence! J’assume, car c’est le choix de la croissance et de l’emploi! J’assume, car c’est le choix des réformes et de l’avenir! J’assume, car c’est le choix d’une fierté et d’un optimisme retrouvés! J’assume, car c’est le choix de la confiance! J’assume, car c’est le choix de la France! Et ces choix, assumons de les faire ensemble!»
L’anaphore, c’est cette figure de style qui consiste à attaquer chaque phrase par le même mot ou le même syntagme. Elle sert à marteler une idée, à insuffler de l’énergie au discours, à marquer les esprits. L’anaphore peut être solennelle, comme celle de Malraux faisant entrer les cendres de Jean Moulin au Panthéon; lyrique à la manière du général de Gaulle comparant Paris à une femme blessée puis libérée; litanique à l’image du «Je me souviens» de Perec. L’exergue ci-dessus rappelle que Corneille, écrivain de l’honneur et du devoir, en fut friand.
Ivre de sa faculté à improviser, François Hollande avait répété seize fois «Moi, président…». Plus modeste, Manuel Valls n’a dit que neuf fois «J’assume», et sa langue a fourché à la quatrième strophe, proférant un «J’assur… me» qui laissait entendre qu’il serait à la hauteur de la mission. Dans les deux cas, il s’agit moins de défendre un concept que de se construire une image.
En écho à Manuel Valls, le lendemain, le patron d’Alstom, Patrick Kron, disait aussi «assumer» le démantèlement de son entreprise si c’était pour assurer l’avenir des métiers et des salariés.
En politique, le «J’assume» est devenu un marqueur d’autorité, le signal qu’il existe un capitaine, un mot magique pour dire qu’on a l’étoffe du rôle.
Avant Manuel Valls, d’autres socialistes ont assumé. Mais pas de la même manière. A commencer par son prédécesseur, Jean-Marc Ayrault, avec cette formule alambiquée: «J’assume d’avoir été obligé d’augmenter les impôts», que l’on pourrait traduire par «J’ai compris que je serai le bouc émissaire…». Avant lui encore, on se souvient de Lionel Jospin assumant sans partage sa défaite au premier tour de la présidentielle. Il en tira les conséquences en se retirant de la vie politique.
Le «J’assume» de Manuel Valls n’a pas la même valeur. Il ne prend pas sur lui un fait passé mais une promesse. Son anaphore est un discours de campagne et une menace adressée à ses pairs qui bouderaient son plan, et que l’histoire pourrait alors retenir comme des traîtres. Son «J’assume» n’est pas sans rappeler le «J’accuse» de Zola. Décidément, la gauche hollandaise est plus littéraire qu’on ne l’imaginait.
Son anaphore est aussi préventive. Elle est
une menace adressée à ses pairs qui bouderaient son plan