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Les médias ne parlent des jeux vidéo que pour aborder la question de leurs répercussions (positives ou néfastes) pour les jeunes, ou alors se cantonnent aux tests dans les pages ludiques. Il est temps d’élever le jeu vidéo au rang qui lui revient, celui d’objet artistique, estime Niels Weber, au nom d’une association de passionnés de Suisse romande, Swiss Gamers Network
Le jeu vidéo bénéficie aujourd’hui d’un engouement tel qu’il peut être abordé d’une multitude d’angles différents: sociologique, économique, médical, scientifique, éducatif, ludique bien entendu, mais aussi culturel, voire artistique.
Hélas, ces derniers aspects, pourtant les plus à même de définir le jeu vidéo, sont le plus souvent écartés. S’il n’est plus rare de voir la sortie d’un film, livre, disque, ou le vernissage d’une pièce de théâtre ou exposition faire la une de la presse généraliste, il semble plus difficile de concevoir, dans les rédactions, un intérêt du public suffisant pour traiter du jeu vidéo autrement que sous l’angle de ses dangers ou enrichissements présumés, ou du fait divers. Les tests de jeux peuvent refléter les aspects ludiques ou artistiques dans les pages des quotidiens suisses, mais sont relégués en rubrique technologique, illustrant ainsi la distance qui les sépare encore d’une vraie reconnaissance culturelle.
Même si le jeu vidéo n’est plus perçu de manière aussi diabolique qu’il y a une dizaine d’années, l’«affaire Claire Gallois» a récemment démontré une trop grande méconnaissance du sujet, alimentant des craintes obsolètes. Fin 2012, la chroniqueuse du Point s’est livrée à un périlleux exercice littéraire dans lequel elle évoquait, éhontément, des arguments sans fondement, ni véracité, pour blâmer les jeux vidéo.
Il est donc temps de s’interroger sur le traitement médiatique accordé à ce support qui, dans le fond, commence à prendre de l’âge. Une certaine responsabilité incombe aux rédactions de ne plus diffuser des sujets fort mal référencés. Sujets qui provoquent irrémédiablement la moquerie de toute une génération et qui contribuent à creuser l’écart entre les médias traditionnels et leur jeune audience. Parions que le public est preneur d’articles documentés dans le traitement du jeu vidéo.
En 2012, l’exposition Playtime, organisée par la Maison d’Ailleurs d’Yverdon, a su accorder, avec justesse, un statut d’objet culturel au jeu vidéo. Idem pour la pièce Yoko-ni, de la compagnie des Voyages extraordinaires, qui leur rend hommage, prouvant ainsi qu’il peut être question de jeu vidéo autrement. 2012 a également été une année importante pour le monde vidéo ludique helvétique, puisque Pro Helvetia menait à terme la campagne «GameCulture», adoptant une approche centrée sur l’aspect artistique, destinée à encourager le développement naissant de jeux en Suisse.
Ce projet est quasiment passé inaperçu en Suisse romande, et le symposium, qui faisait office de cérémonie de clôture, n’a malheureusement été, pratiquement, qu’une succession d’arguments économiques cherchant à motiver de potentiels investisseurs. Investir dans la culture ne rime à rien s’il s’agit d’en espérer un bénéfice financier. C’est hélas ce qui ressortait du message. Et, de fait, si l’industrie du jeu rapporte plus que celle du cinéma, cela se fait, bien souvent, au détriment d’une certaine qualité. La Suisse a aujourd’hui l’occasion de ne pas suivre un modèle établi dans le reste du monde et de pouvoir démontrer la qualité de ses esprits créatifs. Poursuivre la volonté de créer des versions helvétiques de titres vendeurs, s’engouffrer dans le même tunnel des revenus alléchants, ne peut être que voué à l’échec, commercial autant que qualitatif. Bien entendu, en tant qu’utilisateurs actuels de ces technologies, nous avons tous une responsabilité éthique vis-à-vis des générations à venir: accompagner la jeunesse face à un contenu inadéquat ou à un usage excessif, mais également exiger un développement organisé de manière respectueuse et originale. Il serait donc beaucoup plus «rentable», d’un point de vue culturel, de développer des plateformes de création et de promotion de produits indépendants, faisant souvent l’objet de soins plus pointus en matière de créativité et d’originalité.
Les appels à projets faisant actuellement suite à GameCulture méritent donc une attention et un soutien bien plus prononcés que cela n’a été le cas jusqu’à maintenant. A l’heure où la France décide d’apporter un soutien conséquent à l’industrie du jeu vidéo – ici également en avançant l’argument économique et la préoccupation de ralentir la fuite de ressources vers l’étranger –, la Suisse ne doit pas sous-estimer les ressources dont elle dispose, doit encourager les compétences créatives et ne pas museler l’intérêt des jeunes pour le domaine.
Terminons par un exemple concret: en janvier se tenait une table ronde, en marge de Yoko-ni, qui questionnait le jeu. Ce soir-là intervenaient un sociologue, un médecin, un auteur, un acteur de la prévention auprès des jeunes, un développeur de jeux, un représentant de l’industrie du jeu, un joueur professionnel et le directeur de l’exposition Playtime. Malgré ces profils diversifiés, le thème de l’addiction a occupé 80% de la discussion. Sans dénigrer les dangers et/ou les souffrances qui peuvent résulter d’une pratique excessive, il incombe aujourd’hui aux experts comme aux médias d’élever le débat. Prenons la distance nécessaire du domaine économique, focalisons-nous sur l’essence même du jeu – ses potentialités graphiques, ludiques, narratives, interactives, etc. – et évitons de nous cantonner aux controverses manichéennes.
Psychologue spécialisé en jeux vidéo et en hyperconnectivité
Il incombe aujourd’hui aux experts comme aux médias d’élever
le débat, pour l’heure limité à la prévention
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