Les grandes maisons théâtrales ont évolué et l’on doit s’en réjouir. Naguère, des roitelets s’autorisaient des paroles et des gestes blessants vis-à-vis des comédiens comme des machinistes. Ce n’était pas la loi, mais un outrage trop fréquent. L’humiliation était une arme. Ces dernières années, grâce à #MeToo notamment, ces institutions se sont dotées de chartes de conduite. Un artiste, quelle que soit sa stature, s’engage à en respecter les principes. Or l’éruptif Krystian Lupa aurait créé à la Comédie un climat d’insécurité, voire de peur.
Des impatiences et des colères
En cause, des éclats de voix, des impatiences, des colères. Impossible de cautionner cela. Krystian Lupa lui-même a présenté ses excuses dans une lettre publiée par le journal Libération. Mais il n’aurait jamais insulté ou, pis, humilié ni les techniciens ni les comédiens qui ont adoré pour leur part travailler avec lui. Question, alors: un créateur dont l’intranquillité est le moteur, dont le débordement est le talent, a-t-il encore sa place sur de grandes scènes qui ont suivi à juste titre l’évolution de la société?
Krystian Lupa a des obsessions, et ses spectacles reflètent son humanité bouleversante. Il est faillible et tourmenté comme les personnages qu’il met en scène. Mais il est aussi d’une autre époque. Il n’est pas sûr aujourd’hui qu’on tolérerait les éruptions du maestro Giorgio Strehler, par exemple. Ces Emigrants pour le moment fantomatiques témoignent de la fin d’une histoire: l’ère des metteurs en scène tout-puissants est passée. Reste cet espoir: que nos sociétés si policées trouvent encore les espaces pour que des Lupa continuent d’éclairer nos abysses.