Opinion
Le rabbin François Garaï répond à Hani Ramadan et discute de l'idée de ce dernier que l'islam ne serait doctrinalement pas soluble dans la laïcité

Dans son article paru le 15 février dernier, Hani Ramadan pose la question: une laïcité doit-elle être ouverte ou fermée? Et il répond: elle doit être ouverte, ce en quoi il a parfaitement raison.
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Cette exigence qu’il pose, n’est-elle pas la réalité de ce que nous vivons? Mais s’il exige de la laïcité qu’elle s’ouvre aux autres, il déclare lui-même que l’islam, dans son essence même, n’est doctrinalement pas soluble dans la laïcité. Cela devrait clore le sujet car comment débattre avec qui exige de l’autre ce qu’il refuse d’appliquer à lui-même? Et que signifie ce doctrinalement? Au nom de quel Islam parle-t-il? Tous les musulmans adhèrent-ils à une doctrine unique et à des pratiques identiques?
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Et le port du voile intégral?
Il s’étonne qu’un ministre puisse porter ostensiblement une kippa. Mais il n’indique pas où et dans quelles circonstances cela s’est passé. Ce ministre se trouvait-il dans un environnement juif ou à l’intérieur d’une synagogue? Si tel est le cas, nul ne peut le lui reprocher car il se conformait aux usages du lieu. Pour un homme il serait inconvenant d’avoir la tête couverte dans les églises et les temples protestants, comme cela le serait de ne pas se couvrir la tête dans une synagogue ou de garder ses chaussures en entrant dans une mosquée. Ces attitudes seraient une marque d’irrespect envers le lieu, les règles qui s’y appliquent et les fidèles qui s’y trouvent.
Il critique une laïcité intrusive qui donnerait à l’Etat le pouvoir de s’immiscer dans la foi des autres pour décider, par exemple, que le port du voile ou du niqab (voile intégral) ne relève pas d’une pratique religieuse en islam. Dans notre pays le port du voile dans un lieu public est-il interdit? Non. Le port du niqab est-il une pratique religieuse en islam comme il l’affirme? Si tel est le cas, pourquoi n’est-il pas porté par toutes les femmes qui portent le voile? L’assimiler à une pratique religieuse de l’islam est créer un amalgame qui, comme tout amalgame, est mensonger.
Qui exclut qui?
Qui exclut qui? Une femme portant le voile intégral ne s’exclut-elle pas elle-même de la société dans laquelle elle vit car comment «vivre-ensemble» avec quelqu’un qui exige d’échapper au regard de l’autre? Ce ne sont pas ceux qui sont opposés au port du niqab qui excluent celles qui le portent, ce sont celles qui le portent qui s’excluent de notre société en interdisant l’échange à «visage découvert».
Peut-on dire que nous vivons dans une Cité des hommes sans Dieu? Pourtant en milieu universitaire, à Fribourg, à Lausanne et à Genève, les religions sont enseignées et on discourt de Dieu! Pourtant notre pays est parsemé de lieux religieux: monastères chrétiens, églises, temples protestants, mosquées, synagogues, temples et monastères bouddhistes… Notre société a une longue histoire, fruit d’une civilisation associant l’héritage judéo-chrétien, l’héritage gréco-romain et d’autres encore. Dans nos cités, tous les croyants peuvent pratiquer leur religion, en changer ou n’en pratiquer aucune.
Mieux vaut être musulman en terres occidentale
Chacun est libre, s’il le désire, de faire entrer Dieu dans son environnement et cela, sans l’imposer à l’autre. Aujourd’hui, malgré certaines imperfections, telle est la société dans laquelle nous vivons. Et force est de constater qu’il vaut mieux être musulman en terre occidentale que non-musulman en terres d’Islam. Espérons qu’un jour, la «grande» civilisation de l’Islam saura, là où elle est la référence, accepter la présence des autres comme leur présence est acceptée ici.
Certains affirment que Dieu s’est retiré du monde pour laisser à l’humanité la responsabilité de son devenir, ce qui leur fait dire que Dieu est le premier laïcard! C’est pourquoi notre société doit rester ouverte et les religions doivent l’être également. Et seule la laïcité rend cela possible.
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