L’alliance franco-britannique est essentielle pour l’Europe
opinions
Le couple franco-allemand est sous les projecteurs et occulte l’alliance stratégique anglo-française, pourtant essentielle dans la redistribution des équilibres mondiaux. Par Jean-Sylvestre Mongrenier
Le désordre des finances publiques et les développements de la crise monétaire européenne ont de fâcheuses conséquences qui menacent la cohésion des instances européennes et atlantique. Ainsi, le lancement à Bruxelles, le 9 décembre 2011, d’un projet d’union budgétaire et fiscale porté par Paris et Berlin a endommagé la relation franco-britannique. Il faut rappeler l’importance géopolitique de cette alliance.
De prime abord, s’il est difficile de se prononcer quant au fond, on remarquera que la crise de la zone euro vient valider a posteriori les critiques formulées à l’époque du Traité de Maastricht. L’Europe, affirmaient les dirigeants britanniques, ne constitue pas une «zone monétaire optimale» se prêtant à un tel projet. Aussi l’Union économique et monétaire (UEM) était-elle présentée comme un constructivisme a priori, potentiellement néfaste pour ses Etats membres mais aussi ses partenaires. Si le cours des événements n’a pas donné tort aux Britanniques, on ne sortira pas des présentes difficultés en opposant au constructivisme européo-monétaire une sorte de «déconstructivisme» qui consisterait à faire table rase de l’histoire récente. L’axe franco-allemand et les efforts déployés depuis de longs mois sont donc nécessaires, quand bien même apparaîtraient-ils comme désespérés.
On se gardera cependant de bricoler un narrative faisant porter à la City et à la «perfide Albion» la responsabilité de la situation dans la zone euro et, consécutivement, de négliger la relation franco-britannique. Maints signes montrent en effet le peu de volonté des dirigeants allemands d’assumer leur part des responsabilités géostratégiques qui échoient aux Occidentaux. L’affirmation de soi («Selbstbehauptung») se fait sur un mode géoéconomique, l’Allemagne renouant ainsi avec la voie qui était la sienne à l’époque du «Made in Germany» et, s’il fallait à la France s’engager plus avant dans l’affaire syrienne ou dans la crise nucléaire iranienne, cette dernière n’aurait guère d’autre allié et partenaire stratégique en Europe que le Royaume-Uni.
En effet, la rhétorique du «couple franco-allemand» a en grande partie occulté le resserrement des liens entre Paris et Londres au fil des années 1990, le 90e anniversaire, en 1994, de l’Entente cordiale fournissant l’occasion de développer un «partenariat global». Ce processus aura pourtant été essentiel dans le lancement de l’«Europe de la défense». Il est vrai que ce rapprochement était fondé sur des «ambiguïtés constructives» qui ont volé en éclats lors de la crise irakienne.
Depuis, la pleine participation française aux structures militaires intégrées de l’OTAN, les effets de la crise économique sur les budgets militaires et l’apparent moindre intérêt des Etats-Unis pour la «vieille Europe» ont amplifié les convergences. Le 2 novembre 2010, Nicolas Sarkozy et David Cameron ont donc signé deux traités visant à accroître leur coopération militaire bilatérale, une condition sine qua non pour demeurer des acteurs géopolitiques de rang mondial. Il reste à donner plus de substance à ces traités et l’opération en Libye était un cap à franchir pour aller dans ce sens.
Les convergences franco-britanniques de l’après-Guerre froide s’inscrivent dans des logiques intergouvernementales, la finalité politique de chacun étant de préserver son statut de puissance mondiale. Cela dit, une coopération bilatérale plus forte encore contribuerait objectivement à la défense de l’Europe et à la consolidation des positions du «Vieux Continent» dans les équilibres mondiaux. La guerre demeurant l’ultima ratio, il est important que les deux principales puissances militaires européennes conservent des moyens d’intervention dans leur environnement proche et lointain. La combinaison des capacités françaises et britanniques est aussi déterminante pour atteindre le seuil d’intensité pouvant influencer de manière décisive la «grande stratégie» américaine. Le déroulement de l’affaire libyenne en témoigne.
Enfin, les enjeux de cette alliance sont d’ordre ontologique. L’ouverture au «grand large» et au lointain est consubstantielle à l’histoire de l’Occident et il revient aux puissances atlantiques de porter cet héritage tant spirituel que temporel. Une Europe recroquevillée sur son aire géographique qui s’illusionnerait sur les vertus protectrices de ses «anciens parapets» serait infidèle à elle-même. Le monde est engagé dans une grande transformation et l’illusion d’un nouveau «bloc continental», administré et autocentré, ne permettra pas de contrer les forces titanesques qui sont au travail. Au vrai, l’Allemagne et ses puissants exportateurs ne sont certainement pas sur cette ligne politico-économique.
Déjà, la transmutation en cours prend l’allure d’un grand déclassement pour l’Europe et les difficultés de nations porteuses d’une civilisation à vocation universelle avivent le ressentiment de leurs anciens sujets et tributaires. Dans une telle époque, l’alliance franco-britannique est essentielle, tant pour relever les défis inhérents à la mondialisation que pour intervenir au-delà des anciens parapets.
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