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L'analyse. Souvent décrié mais toujours pratiqué, le principe de l'arrosoir reste bien vivant

L'analyse. Deux projets inscrits au programme de la session parlementaire de mars illustrent la difficulté qu'ont les autorités politiques à présenter des projets ciblés et concentrés.

Peut-on encore réaliser un projet en Suisse sans donner un susucre à tout le monde? A la veille de la session parlementaire de mars, qui débute lundi, cette question doit être posée. Car deux projets ambitieux sont directement confrontés à cette problématique: la nouvelle politique régionale (NPR) et le fonds pour les infrastructures.

La première est appelée à succéder aux instruments de promotion économique créés dans les années 70 et 80, en particulier l'arrêté Bonny, qui permet aux régions périphériques d'accorder des allégements fiscaux pour attirer des entreprises et créer des emplois, et la loi sur l'aide aux investissements dans les régions de montagne, la fameuse LIM.

Ces soutiens étatiques ont régulièrement été décriés dans les grands centres urbains, Zurich en tête. La métropole économique du pays n'a évidemment jamais bénéficié de ces aides. Et certains leaders politiques des bords de la Limmat, ignorant tout des crises horlogères et de la désaffection industrielle qui ont frappé l'Arc jurassien, ont même eu le culot de crier à la concurrence déloyale.

Ils sont toujours partis du principe que la compétitivité des centres rejaillissait suffisamment sur le reste du pays pour qu'on puisse se passer de mesures permettant de réduire les disparités. Ce qui est tout simplement faux. Les succès économiques genevois n'ont jamais suffi à maintenir l'économie jurassienne à flot, pas plus que la force de la place financière zurichoise n'est pas en mesure de garantir la survie d'Uri, d'Obwald ou d'Appenzell.

Les tentatives zurichoises de mettre à mort l'arrêté Bonny ont toujours échoué. Mais le groupe d'experts chargé par Joseph Deiss de remodeler la politique régionale n'a pas été insensible aux critiques. Il a présenté un projet de démantèlement de l'aide aux régions périphériques et a suggéré de la remplacer par un nouveau système de mise en réseau des compétences entre un centre urbain et sa propre périphérie.

Ces projets modèles de politique des agglomérations avaient clairement pour but d'élargir l'assise de la NPR. Partant du principe qu'une réforme qui ne profiterait qu'aux régions périphériques n'aurait guère de chances de recueillir une majorité au parlement, le département de Joseph Deiss a proposé de l'élargir. Il a cependant dû faire marche arrière face à l'opposition très ferme des cantons bénéficiaires du système actuel.

L'aide aux agglomérations a ainsi disparu de la réforme. Mais rien ne dit qu'elle n'y réapparaîtra pas. La NPR sera examinée ces prochains mois par la commission de l'économie et des redevances du Conseil des Etats. La Chambre des cantons sera peut-être tentée de reprendre le projet initial présenté par les experts mandatés par Joseph Deiss.

Comme elle a été tentée de faire du projet de fonds d'infrastructures une réforme d'envergure nationale. Mais, ici, la réflexion est inverse. Ce dossier trouve ses racines dans le rejet d'Avanti en février 2004. Celui-ci a surtout échoué parce qu'il incluait, outre l'achèvement du réseau des routes nationales et l'élargissement des tronçons surchargés de ce même réseau, le doublement du tunnel routier du Gothard.

Cet échec consommé, le Département fédéral des transports de Moritz Leuenberger a présenté une nouvelle solution. Il s'agit d'un fonds d'infrastructures financé par une partie des recettes des impôts sur les carburants et des taxes routières.

Ce fonds vise plusieurs objectifs: résoudre les problèmes de circulation dans et aux abords des agglomérations, achever le réseau des routes nationales, supprimer les goulets d'étranglement de ce réseau.

Et là, devinez ce qu'a proposé la commission du Conseil des Etats qui s'occupe de ce dossier. Oui, vous avez trouvé: elle suggère d'inclure les régions périphériques dans le projet. Elle souhaite rajouter 800 millions aux 20 milliards qu'il était prévu de mettre à disposition sur une vingtaine d'années pour désengorger les villes et les autoroutes!

Si, dans quinze jours, le plénum la suit, le fonds changera de nom. Il s'appellera «fonds pour le trafic d'agglomération, le réseau des routes nationales et les régions périphériques» alors que, au départ, seuls les deux premiers destinataires étaient mentionnés.

Le président de la commission, le radical argovien Thomas Pfisterer, ne nie pas que cette option soit motivée par la crainte d'un référendum. Si votation il doit y avoir plus tard sur le fonds d'infrastructures, il faudra s'assurer le soutien d'un maximum de cantons. «Si l'on veut avoir un large consensus politique, il faut intégrer les périphéries dans le projet», a-t-il déclaré voici quelques semaines. D'où l'élargissement du fonds et son adoption à l'unanimité en commission. Un sort (à peu près) identique attend désormais le fonds au nom interminable devant le Conseil des Etats le 21 mars prochain.

Ces réflexes laissent cependant perplexe. Ils donnent le sentiment qu'on ne peut plus faire passer le moindre projet s'il ne profite pas à tout le monde. C'est le retour du principe de l'arrosoir. Dans les prêches du dimanche, tous les milieux politiques sans exception affirment pourtant qu'il faut renoncer au saupoudrage, qu'il faut présenter des projets ciblés, concentrés.

Une fois le livre de messe refermé, ils font exactement le contraire. Et c'est bien ça le problème. La nouvelle version de la NPR ne parle plus des agglomérations? C'est très bien ainsi. La première formule du fonds d'infrastructures n'incluait pas explicitement les routes de montagne? C'était plus cohérent. Mais on peut douter que le parlement, tétanisé par la peur d'un échec populaire, ait le courage de cette cohérence.