C’est l’histoire d’une exposition qui a tourné court. En cause? Un malentendu, une clause non respectée ou encore un choc des cultures, selon les explications des parties concernées. Inaugurée mardi au restaurant Le Raisin, le projet photographique Black Love, mettant en scène un couple afro-européen, devait en principe durer jusqu’en janvier 2018. Il a finalement été stoppé mercredi. Un «gros gâchis» pour l’artiste lausannoise de 25 ans Ashley Moponda, qui s’estime discriminée. Une accusation fermement démentie par l’historique établissement lausannois, qui met régulièrement ses murs à disposition des artistes.

«Mettre en avant sa communauté»

Originaire de la République démocratique du Congo et née en Suisse, Ashley Moponda assume sa double culture. Sa première exposition, Melanin Love, est consacrée aux descendants afros de Suisse. Hommes, femmes et enfants sont photographiés séparément. Black Love incarne un second temps, celui de l’union. Avec son objectif, la jeune femme capture l’intimité, la complicité d’un couple noir. L’enjeu? «Mettre en avant sa communauté.»

Lorsque la chargée de communication du restaurant situé place de la Palud l’approche en 2016, Ashley Moponda est flattée. «Un restaurant chic, au cœur de ma ville, cela faisait sens», explique-t-elle par téléphone. Les rencontres s’enchaînent jusqu’au vernissage du 23 novembre auquel assistent quelque 80 personnes. Contre toute attente, le «malaise» est au rendez-vous.

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«Le restaurant n’était pas préparé à ce que mon message soit aussi fort et aussi entendu, juge Ashley. La dimension politique de mon discours a gêné, mes invités ne se sont pas sentis accueillis. Au final, Le Raisin m’a fait comprendre que mon travail ne correspondait pas à l’image du restaurant.» Un brusque revirement qu’elle explique par un «manque de communication». «Cette expérience est décevante, pour ne pas dire humiliante, conclut la photographe. Cela ne devrait pas arriver. Lorsqu’on accueille un artiste, on l’accepte comme il est. Il n’y a pas besoin de nommer le racisme pour le ressentir.»

Style «affiches de rue»

La responsable de l’établissement, Maria, a une autre interprétation. «Les vernissages sont prévus pour 20 à 30 personnes. Ce jour-là, il y avait tellement de monde qu’on n’arrivait simplement plus à bouger. C’était pourtant précisé dans le contrat.» La patronne répète qu’elle n’a rien contre les photos d’Ashley Moponda, mais que celles-ci étaient «toutes petites et grossièrement fixées au mur avec de la patafix». Le retour des clients a, selon elle, confirmé le style «affiches de rue».

Pour la coordinatrice Adeline Frascotti, qui a joué les intermédiaires, des difficultés sont survenues bien plus en amont. «Le concept d’Ashley n’était pas abouti, raconte-t-elle. Je l’ai aidée à aller au-delà du shooting, à construire un vrai projet. Nous avions convenu que les photographies seraient suspendues au mur pour mimer la disposition des magazines, dans lesquels les femmes noires sont très peu représentées. A quelques jours de l’événement, Ashley Moponda m’a annoncé qu’elles seraient simplement collées au mur. J’ai senti que ça allait être compliqué.»

«Rien à voir avec la couleur de peau»

Si Adeline Frascotti reconnaît une part de responsabilité, elle réfute un quelconque racisme sous-jacent. «Cela n’a strictement rien à voir avec la couleur de peau. Le soir du vernissage, Le Raisin a offert le double d’apéritifs par rapport à ce qui était prévu et allongé l’horaire imparti. En définitive, le propriétaire était prêt à garder les photos, mais Ashley n’a pas donné suite.»

A la recherche d’un nouveau lieu d’exposition, Ashley entend quant à elle tirer les leçons de cet imbroglio. «L’art de la communauté afro-européenne doit pouvoir s’exprimer.»

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