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ÉDITORIAL. Comme un pied de nez à la morosité ambiante, les jeux de société regagnent leurs lettres de noblesse et leur place dans les foyers

Mes règles sont les seules auxquelles petits et grands prennent plaisir à se soumettre, et si mes trois lettres sonnent comme le pronom personnel de la première personne du singulier, mon but est bien souvent de recréer le «nous». Qui suis-je?
Comme un dé qui n’en finit pas de tourner, l’actualité nous a happés, presque hypnotisés – ces trois dernières semaines, ou plutôt ces deux dernières années. Face au degré de complexité des crises sanitaire ou géopolitique qui s’enchaînent, la tentation de se recroqueviller sur ses angoisses est grande. Pendant ce temps-là, un secteur de niche poursuit son essor, indéniablement renforcé par la conjoncture: celui du jeu de société. Jamais le marché suisse du jeu ne s’est en effet aussi bien porté. Pour répondre à cette appétence qui brasse les cartes générationnelles, géographiques et sociales, La Chaux-de-Fonds accueillera bientôt le plus grand bar à jeux de Suisse, avec 1300 jeux sur 140 m². Son désormais célèbre festival du jeu, Ludesco, donne quant à lui rendez-vous aux amateurs en septembre.
Retrouver de la légèreté
A quoi bon jouer? D’abord, pour soi. Pendant la pandémie de Covid-19 puis depuis le début du conflit en Ukraine, les psychologues, philosophes et docteurs ès résiliences nous répètent l’importance, dans des situations qui nous dépassent, de vivre le «moment présent». D’être «là». Certes, le concept prête à sourire tant il est galvaudé, immédiatement associé à des graines de quinoa et à un bâton d’encens. Et pourtant, enfants, nous n’avions aucun mal à nous prêter au jeu du présent. Sortir un plateau poussiéreux et empoigner une paire de dés, n’est-ce pas là l’ultime pied de nez à ce futur dans lequel on a tant de mal à se projeter? Réveiller la créativité anesthésiée par la routine est une façon, anodine mais si accessible, de retrouver une forme de légèreté.
Ensuite, pour être ensemble. Au-delà de l’esprit du jeu et des compétences qu’il sollicite, le besoin de communier est indéniable. Alors que la multiplication des clivages grignote les moments de partage, les concepteurs ont à cœur de penser les équipes autrement: un contre un ou tous pour un? Et si parfois gagner, c’était se lier? L’engouement pour les jeux mettant en avant la collaboration semble à cet égard éloquent. Ou quand évasion rime, plus que jamais, avec cohésion.
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