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L’art de la polémique

Les dirigeants de la droite nationale-conservatrice continuent d’occuper tout l’espace médiatique en s’attaquant désormais à la dérégulation du travail, écrit notre chroniqueur Yves Petignat

Sous l’impulsion de son nouveau rédacteur en chef, Eric Gujer, la «NZZ» se positionne de plus en plus «pour un nouveau néolibéralisme» décomplexé. Zurich, 2003. — © EDDY RISCH
Sous l’impulsion de son nouveau rédacteur en chef, Eric Gujer, la «NZZ» se positionne de plus en plus «pour un nouveau néolibéralisme» décomplexé. Zurich, 2003. — © EDDY RISCH

Adepte du «KO verbal», l’UDC aura toujours une longueur d’avance dans la communication politique. C’est l’une de ses forces. Elle vient d’en faire la démonstration avec son attaque frontale contre les syndicats, accusés de prospérer sur les mesures d’accompagnement à la libre circulation.

Des mesures supposées limiter la sous-enchère salariale. La communication politique n’est pas seulement l’art de séduire ou de persuader, c’est aussi une stratégie de domination du terrain médiatique. Et pour cela l’UDC a habilement joué du climat, en l’occurrence du vent de dérégulation, ainsi que du vide du pouvoir.

A l’exemple du positionnement de la NZZ «pour un nouveau néolibéralisme» décomplexé, sous l’impulsion de son rédacteur en chef Eric Gujer, on assiste en effet en Suisse à une offensive contre les réglementations qui entraveraient la liberté des marchés ou des relations de travail. En automne 2016, dans un éditorial qui avait marqué les esprits, le patron de la NZZ en appelait ainsi à une «coalition de la raison contre le nationalisme économique et le protectionnisme de gauche ou de droite» afin de libérer notre économie des chaînes de l’hyper-réglementation.

Remise en cause de la régulation du travail

Nous n’allons pas débattre ici du bien-fondé de cette offensive. Constatons que la remise en cause de l’actuelle régulation des conditions de travail est l’un des thèmes dominants du débat politique suisse. C’est le cas d’une motion de l’UDC Thomas Burgherr, qui propose une simplification du droit du travail. Ou de l’USAM, qui veut flexibiliser la loi et relever la limite des horaires de travail à 50 heures par semaine. L’extension des conventions collectives pour lutter contre la sous-enchère salariale provoque également une forte réaction dans les rangs de droite, inquiets de la perte de compétitivité de la Suisse.

Les dirigeants de la droite nationale-conservatrice occupent ainsi tout l’espace médiatique

Ce n’est donc pas un hasard si des rumeurs, démenties, ont couru sur l’intention du ministre de l’Economie, Johann Schneider-Ammann, de sacrifier deux des mesures d’accompagnement dans les négociations avec Bruxelles. En l’occurrence l’obligation d’une caution pour les travailleurs détachés et la «règle des huit jours» imposant aux entreprises étrangères d’annoncer l’envoi de leurs collaborateurs en Suisse. En communication politique, la réussite dépend d’abord d’un contexte favorable, d’oreilles prêtes à entendre le message.

Blocher, maître du KO verbal

Le coup de griffe contre les mesures d’accompagnement et les syndicats crée donc l’actualité, dicte l’agenda, oblige la gauche à la défensive et les dirigeants de l’économie à prendre parti. C’est une manière de présenter la libre circulation des personnes sous un jour négatif, sans pour autant en faire l’objet central de l’attaque. Un effet collatéral. Les dirigeants de la droite nationale-conservatrice occupent ainsi tout l’espace médiatique. La polémique qu’ils en espèrent renforce l’UDC dans sa stratégie d’influence à droite au moment où le Conseil fédéral est empêtré dans ses contradictions et s’interdit la parole en raison de l’indigence de sa communication.

«La polémique définit des alliances, recrute des partisans, coalise des intérêts ou des opinions, représente un parti; elle constitue l’autre en un ennemi porteur d’intérêts opposés contre lequel il faut lutter» et surtout elle nie toute légitimité à l’adversaire, cherchant à le tuer politiquement, analysait le philosophe Michel Foucault dans les années 1980 (Dits et écrits). C’est le KO verbal, un procédé dont Christoph Blocher est bien le maître incontesté en politique suisse.