En fin d’année, les tensions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis et une volatilité des marchés accrue faisaient craindre un tassement. Pourtant, dans leurs projections pour 2019, Deloitte, JPMorgan et Morgan Stanley voyaient le marché M&A rester fort. Dans ce contexte, le conseil d’administration de Renault doit se prononcer ce mardi sur le projet de fusion proposé par Fiat Chrysler Automobiles (FCA) la semaine dernière.
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Une opération risquée
Que le marché se porte bien ou non, les fusions-acquisitions sont loin d’être systématiquement couronnées de succès. Un euphémisme pour dire que selon les estimations les plus optimistes elles échouent une fois sur deux, et dans 80% des cas pour les plus pessimistes. Les raisons d’une fusion sont multiples: atteindre une taille critique, réduire les coûts fixes, augmenter les perspectives de nouveaux marchés…
Certaines opérations échouent avant même qu’un accord ne soit conclu. En 2014, l’américain Omnicom et le français Publicis mettent fin à leurs négociations au bout de neuf mois. Le mariage aurait pu aboutir à la création du leader mondial de la publicité, mais les deux directions ne sont pas parvenues à s’entendre.
Le mirage de la fusion entre égaux
Les opérations de fusion-acquisition prennent plusieurs formes. La prise de contrôle, amicale ou hostile, ou encore la fusion entre égaux. Comme le projet proposé par FCA à Renault, qui créerait une nouvelle entité, détenue à parts égales par les actionnaires des deux groupes.
«Les questions qui touchent à l’intégration des entreprises posent souvent problème, commente Thomas Straub, professeur de management international à la Geneva School of Economics and Management. Dans ce cas, la gouvernance d’un tel colosse pourrait mener à des conflits de gestion.» Dans ce type de fusion, une des deux entreprises s’impose souvent.
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La constitution du cimentier LafargeHolcim est un exemple du genre. Rapidement, le groupe suisse est revenu sur la parité d’action prévue et a remis en cause la nomination du directeur général de Lafarge, le Français Bruno Lafont, à la tête de l’ensemble. Affaibli, notamment par ses liens supposés avec l’Etat islamique, Lafarge a aujourd’hui cédé le pas à Holcim. La fusion d’égaux peut aussi être une acquisition déguisée. Présentée comme telle, l’union entre Glencore et Xstrata en 2013 a abouti à l’absorption de ce dernier. Un an après, Xstrata disparaît du nom du groupe.
Les facteurs humains et culturels négligés
Lorsque les objectifs financiers et économiques d’une fusion ne sont pas remplis, elle est considérée comme un échec. Sur le papier, les points juridiques d’une bonne fusion sont connus, mais les entreprises sous-estiment encore l’effet des différences culturelles sur les performances économiques.
«Une proximité géographique ne veut pas dire que les barrières culturelles seront faciles à franchir», rappelle Muriel Durand, responsable du département organisations, stratégie et management à la South Champagne Business School. La définition d’un bon leader, par exemple, diffère entre Européens. En France, un dirigeant doit être omnipotent et charismatique, quand la culture anglo-saxonne estime qu’il doit savoir déléguer.
Les différences de culture d’entreprise sont aussi sous-estimées. «On a tendance à penser que deux entreprises du même secteur, de même taille fusionneront facilement. C’était le cas avec la fusion Sunrise-Orange», constate Ariane Curdy, qui accompagne des entreprises dans leur gestion d’équipes multiculturelles. Les deux opérateurs ont la même ancienneté, mais des valeurs opposées. «Orange, devenue Salt, est l’œuvre d’un entrepreneur aux idées un peu folles et Sunrise est issue de la fusion d’entreprises fédérales», compare-t-elle. La fusion est finalement rejetée par la Commission de la concurrence en 2010.
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Renault et FCA n’en sont qu’aux préliminaires, mais les deux entreprises sont averties. Chrysler avait déjà connu un sérieux revers en s’unissant à Daimler en 1998, avant une séparation en 2007. Une union qui avait failli voir le constructeur américain disparaître. Et Renault envisage une nouvelle fusion, alors qu’elle est encore engluée dans l’échec de ses tentatives avec Nissan.