OPINION. Compréhensives, disciplinées, les personnes âgées ont suivi la consigne de confinement. Il est temps de mettre fin à l’exil affectif de toute une génération et de cesser de nier son libre arbitre

On leur dit que c’est pour leur bien et celui de la collectivité. Désormais, les aînés se retrouvent seuls, privés des unions essentielles: ces liens familiaux avec leurs enfants et petits-enfants qui donnent à leur vie un sens, qui aident à fermer plus paisiblement les yeux lorsque surgit la Camarde, que nos sociétés s’ingénient à masquer. Pour eux, chaque nouvelle aube se lève sans promesses. Il suffit.
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Consigne suivie
Compréhensifs, disciplinés, ils ont suivi la consigne. Les personnes âgées autonomes et bien portantes, qui jouent un rôle fondamental dans l’édification de leurs petits-enfants, en termes de transmission et de tendresse, ont obéi de leur plein gré à l’injonction de repli, pour amener leur contribution à l’effort collectif. Mais les semaines passant, leur peine s’exprime. Suspendues aux lèvres du conseiller fédéral Alain Berset, elles désespèrent de voir formulée l’échéance de leur réclusion. Certaines s’indignent aussi que, au nom de leur santé physique, une crise économique sans précédent compromette l’avenir de leurs descendants. Pour les aînés en EMS, c’est pire encore: cette semaine, le Conseil d’Etat genevois a par exemple prolongé l’interdiction des visites jusqu’au 8 juin. Ce qui revient à condamner ces aînés à trois mois de solitude absolue. Pour eux, le remède s’avère pire que le mal. Car à 80 ans, chaque jour compte.
Au début de la crise, le confinement s’est imposé à tous comme une évidence. Il fallait éviter que les hôpitaux soient submergés, que les médecins doivent arbitrer entre le salut et la condamnation. Chacun a compris son sacrifice individuel comme l’expression de l’intérêt collectif, supérieur. La vague épidémique tant redoutée a été haute et dévastatrice, mais elle n’a pas tout emporté: le système sanitaire a résisté, il avait même encore un peu de marge. Il faut en tirer les conclusions et mettre fin à l’exil affectif de toute une génération. Et, surtout, cesser de nier son libre arbitre.
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Bien-vivre
La liberté et la responsabilité individuelles doivent reprendre leurs droits. Il n’est pas admissible longtemps que pèse sur les aînés une injonction sanitaire à vivre déclarée supérieure à leur bien-vivre. Laisser aux aînés le choix de consentir à un risque est bien la moindre des marques de respect qu’on leur doit. Rien ni personne ne doit les priver de décider qui l’emporte, de l’éventualité de la maladie ou de la certitude de la solitude. L’une comme l’autre peuvent conduire à la mort. Mais un jour de plus dans l’amour des siens, c’est mieux qu’une espérance de longévité: un petit goût d’éternité.
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