Néanmoins, aujourd'hui déjà, les technologies de fabrication de ces minuscules transistors sont très compliquées. Le procédé utilisé, appelé lithographie, consiste à «décalquer» les géométries du plan du circuit intégré, appelé masque, sur la puce de silicium. Ces géométries constituent les éléments du transistor et les interconnexions entre transistors. Pour ce faire, on projette des rayons au travers des géométries présentes sur le masque, et les géométries sont reproduites sur le silicium. Or, aujourd'hui, une géométrie sur le silicium est bien différente de celle qui a été dessinée, et il s'agit de corriger les masques en tenant compte des effets de proximité d'autres géométries voisines. Cela pour tenter d'obtenir des géométries sur le silicium qui ne soient pas trop loin de ce que l'on souhaite. C'est déjà très compliqué aujourd'hui en 65 et 45 nanomètres, au travers de réelles prouesses technologiques, mais on ne sait pas vraiment comment il faudra procéder en 14 nanomètres en 2020.
Ainsi, les problèmes de conception et de fabrication des puces électroniques dans ces nouvelles technologies très avancées ne font que survenir les uns après les autres. Après les problèmes de délais d'interconnexion, qui sont prépondérants aujourd'hui par rapport aux délais de transistors (imaginez qu'il y a aujourd'hui environ 12 km de fils métalliques sur une puce de silicium, et que l'on prédit environ 50 km en 2020); après les problèmes de consommation en fonctionnement, qui créent des problèmes de durée de vie et de chaleur à évacuer; après les problèmes de consommation en mode repos, dus à des transistors ou interrupteurs qu'il est de plus en plus difficile de bien bloquer (donc ils fuient, épuisant rapidement une petite batterie même en mode repos); le dernier problème en date est ce que l'on appelle les variations technologiques.
Les variations technologiques ont pour effet que deux transistors voisins sur la même puce de silicium peuvent avoir des caractéristiques différentes, par exemple en vitesse ou en consommation. Ainsi, les circuits réalisés avec ces transistors verront une très grande dispersion dans leurs vitesse et consommation, ce qui fait que de plus en plus de circuits fabriqués ne passeront plus les exigences en vitesse et consommation. Le rendement deviendra très mauvais et, économiquement, c'est une catastrophe. Des projets de recherche ont été lancés pour tenter de trouver des solutions, en particulier en utilisant la redondance, visant à remplacer un transistor trop lent par un voisin assez rapide, mais on imagine le surcoût de telles techniques.
Ainsi, cet empilement de problèmes nécessite des techniques de plus en plus sophistiquées, et cela a une répercussion sur les coûts de masques et de fabrication. Si bien que l'on assiste à un grand changement dans le choix d'une technologie pour une application donnée. Ce n'est plus nécessairement la technologie la plus avancée qui est automatiquement choisie, mais selon les coûts et le volume de production, des technologies plus conservatives se montrent plus avantageuses.
Par exemple, pour des cartes à puce, des circuits de montre ou de petits volumes de production, des technologies de 0,5 micron ou de 180 nanomètres sont choisies. Il est donc facile d'en déduire que les fonderies vont garder leurs anciennes technologies tout en proposant aussi les technologies les plus avancées. C'est clairement un signe d'une certaine saturation, les technologies très avancées n'étant plus avantageuses pour tout type de circuit intégré.
Après ce premier signe d'une saturation de la microélectronique, on peut se poser la question de savoir si les technologies avancées vont également être atteintes par une saturation. Il est certain qu'il y aura saturation, tout phénomène exponentiel comme celui-ci ne peut pas durer éternellement, mais la question est de savoir quand interviendra cette saturation. Pour retarder l'arrivée d'une certaine saturation, il faudrait pouvoir résoudre sans surcoût les problèmes techniques mentionnés plus haut. Cela s'est toujours fait jusqu'à aujourd'hui, mais il faut reconnaître que cela ne pourra pas durer, et qu'il y a un jour où les techniques de fabrication deviendront trop complexes et donc trop chères pour le but visé. Par ailleurs, il faut aussi se poser la question de savoir quelles applications vont exiger des technologies de 14 nanomètres en 2020.
D'une part, on a toujours su utiliser les possibilités technologiques pour fabriquer des puces plus puissantes (ordinateurs, serveurs, PC), d'autre part cela semble naturel de n'utiliser une telle technologie (14 nm) que pour des applications qui l'exigent absolument (très gros volume de production, très grosses puces, performances extrêmes). Le nombre de ce genre d'applications ne peut que décroître à l'avenir, et l'on va assister à une large gamme d'applications qui vont se distribuer dans une dizaine de technologies, de la 180 nm à la 14 nm, avant que l'on se pose la question s'il est vraiment nécessaire d'aller vers 12, 10 et 8 nanomètres. On sera ainsi proche de la fin de l'évolution fulgurante de la microélectronique, ce qui ne veut absolument pas dire que ce sera le déclin de la microélectronique: on continuera de produire plus de 10 (18) transistors par an.