L’AVS est solidaire envers les femmes
OPINION
OPINION. Les femmes reçoivent plus de la moitié des prestations de l’AVS, alors qu’elles ne versent que le tiers des cotisations, explique Brenda Duruz-McEvoy, du Centre patronal vaudois, en prenant la défense de la réforme AVS 21 au terme de laquelle, dit-elle, les femmes resteront les bénéficiaires du premier pilier

L’AVS est à la base de la prévoyance sociale suisse et se distingue par son fort effet de redistribution. Financée de manière solidaire, sans plafond sur les cotisations salariales, elle permet d’offrir à chacun une retraite digne. La solidarité entre riches et moins riches est bien connue: un salarié aux revenus modestes percevra des prestations bien supérieures à la somme de ses cotisations, alors qu’un CEO n’en récupérera qu’une infime partie.
Il est une autre redistribution dans l’AVS: celle des hommes en faveur des femmes. Les hommes versent deux tiers des cotisations, alors que les rentes moyennes versées aux femmes et aux hommes sont très proches; l’écart n’est que de 1% selon les statistiques de l’AVS 2021 de l’OFAS. Les cotisations plus faibles ne se répercutent donc pas sur le niveau des rentes. Plus encore, les femmes bénéficient de 55% des prestations versées par l’AVS. Différents mécanismes contribuent à ce résultat et un décryptage technique s’impose pour les comprendre.
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Des rentes sur une durée plus longue
Certains avantages en faveur des femmes découlent de tendances statistiques ou biométriques. Statistiquement, le CEO supercotisant en 2022 est encore souvent de sexe masculin. Biométriquement, les femmes ont une espérance de vie plus longue et reçoivent plus longtemps leur rente. Elles survivent plus souvent à leur mari et reçoivent donc une rente de veuve, état civil dont la rente est la plus élevée en raison du supplément de veuvage.
La 10e révision de l’AVS a introduit le splitting des revenus des époux. Les revenus cotisants au sein du couple marié sont donc partagés et cela permet d’équilibrer le montant des rentes des époux. Peu importe que Monsieur gagne 80 000 francs par an et Madame 40 000 ou l’inverse, l’AVS considérera qu’ils ont chacun un revenu déterminant de 60 000 francs. Le splitting prend effet lors du divorce ou lors de la retraite du deuxième conjoint.
Deuxième mesure: l’introduction de bonifications pour tâches éducatives ou d’assistance. Cela permet la prise en compte du travail de «care» non rémunéré. Celui-là même qui est souvent accompli par des femmes, au détriment de leur carrière, mais parfois aussi par les hommes qui sont de plus en plus nombreux à travailler à temps partiel pour s’occuper de leurs enfants. En clair, il s’agit d’un supplément de revenu exempt de cotisations qui augmente le revenu annuel moyen déterminant pour le calcul de la rente.
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Ces femmes dispensées de cotisations
La conception historique de la famille et le besoin de protection accru de la femme dépendant financièrement de son mari ont engendré des différences de traitement entre les sexes. On peut citer les critères d’octroi de la rente de veuve (viagère et versée même en l’absence d’enfants pour la femme âgée de 45 ans) alors que la rente de veuf n’est que temporairement versée au père jusqu’à la majorité de son plus jeune enfant. Les femmes sans activité lucrative sont aussi plus nombreuses que les hommes à être dispensées de cotisations grâce à celles versées par leur conjoint.
En fin de compte, les femmes reçoivent plus de la moitié des prestations de l’AVS, alors qu’elles ne versent que le tiers des cotisations. Cette discrépance reflète la colossale redistribution en faveur des femmes dans l’AVS. Même avec AVS 21 et l’harmonisation de l’âge de la retraite, les femmes resteront clairement les bénéficiaires nettes de cette assurance sociale.
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Revaloriser les salaires féminins
D’aucuns prétendent que la résorption des écarts salariaux entre les sexes permettrait d’assainir l’AVS. Pourtant, les cotisations ne composent plus que 75% des recettes de l’AVS, et celles des femmes n’en représentent que 25%. Pour maintenir le résultat de répartition de l’AVS dans les chiffres noirs pendant les 10 prochaines années, une revalorisation titanesque des salaires féminins serait nécessaire: +33% par rapport au scénario de l’OFS et cela sans que les salaires des hommes n’en soient impactés, soit bien au-delà des plus pessimistes estimations du gender pay gap en Suisse.
La sagesse populaire nous rappelle que «trop tirer rompt la corde». Priver l’AVS des moyens indispensables à son financement met en péril ses mécanismes de redistribution. Cela affaiblirait une œuvre sociale qui valorise le travail de «care», prend en considération l’unité économique formée par la famille et s’adapte aux différents parcours de vie. S’attaquer à l’AVS, c’est attaquer un moteur de rééquilibrage très favorable aux femmes et, in fine, réduire les ressources à disposition des rentières pour faire face aux coûts de la vie.
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