L'échec de Barack Obama
François Brutsch,consultant, ancien député socialiste au Grand Conseil genevois, estime que c'est Hillary Clinton qui, dans l'élection nationale, garde les meilleures chances de victoire.
Après l'Indiana, la victoire d'Hillary Clinton en Virginie-Occidentale confirme la faiblesse intrinsèque de la candidature de Barack Obama pour l'investiture démocrate: si réellement les jeux étaient faits, on aurait observé mardi un mouvement de ralliement en la faveur de ce dernier qui ne s'est pas manifesté. Il est comme un joueur d'échecs ayant l'avantage mais incapable de conclure. Par contraste, elle fait la preuve de sa capacité de résistance, d'offensive et de conviction, des éléments qui seront décisifs en novembre face à John McCain.
Depuis 1964 (Johnson après Kennedy), les démocrates ne sont parvenus à faire élire que deux présidents: Jimmy Carter en 1976 et Bill Clinton en 1992 et 1996, soit seulement douze ans sur les quarante dernières années. Leur caractéristique commune: ne pas être conformes au moule traditionnel du Parti démocrate, Sudiste baptiste pour l'un, théoricien de la troisième voie pour l'autre, courant dans lequel s'inscrit aussi Hillary. Et ces primaires difficiles l'y ont aidée plus que le couronnement auquel on la croyait promise, en rendant moins crédibles les éventuelles accusations de gauchisme, fondées sur un très lointain passé, que les républicains pourraient agiter contre elle.
Obama a probablement voulu lui aussi jouer le candidat différent, à l'appel plus large, dépassant les clivages, ce qui lui a valu ses succès initiaux. Ce positionnement n'a pas résisté aux primaires et, face à McCain qui est véritablement un candidat républicain atypique, il s'inscrit désormais dans le courant traditionaliste du Parti démocrate, incarné par les échecs de Hubert Humphrey, George McGovern, Walter Mondale, Michael Dukakis, Al Gore (qui s'était funestement distancié de Clinton) et John Kerry: il peut bien parler soft, ses votes au Sénat sont impeccablement «libéraux», donc ultra-minoritaires. Sa rhétorique met en transe ses adeptes: le problème, c'est que ce sont les autres qu'il s'agit d'intéresser, et pour cela rien ne vaut l'expérience, les idées et les propositions, toutes choses qu'une candidature présomptueuse et prématurée ne peut fournir.
Ce qu'il faut craindre aujourd'hui, c'est que le Parti démocrate ne cède à ses démons et n'ose écarter la candidature d'un Noir pour blâmer ensuite le supposé racisme des Américains pour sa non-élection. Même si le racisme n'est pas toujours où l'on croit, quand l'électorat blanc se partage entre Clinton et Obama (ou McCain et Obama) alors que l'électorat noir vote monolithiquement Obama - ou, plus largement, démocrate entretenu dans un clientélisme victimaire. Comme la première femme premier ministre a surgi en Grande-Bretagne du Parti conservateur, c'est plutôt l'élection d'un président noir républicain qui attesterait enfin du dépassement de la problématique raciale.
Le décompte des délégués des Etats est trompeur: pour la première fois, ils sont élus à la proportionnelle (un signe de nombrilisme d'un parti qui semble avoir oublié à quoi servent les primaires). Obama a joué tactique, en visant en particulier les caucus. Mais son avance technique ne doit pas masquer le fait qu'en novembre c'est une tout autre règle qui s'applique: le vainqueur emporte tous les grands électeurs de l'Etat. Clinton, elle, a fait la démonstration de sa capacité à être en tête là où ça compte. Les super-délégués ne devraient pas perdre de vue l'intérêt du parti qu'il leur revient d'incarner lorsque personne n'est parvenu à obtenir sur son nom la majorité absolue à la Convention: désigner quelqu'un dont on ne soit pas seulement fier du panache comme candidat, mais qui maximise les chances d'être élu.
Trois raisons au moins devraient les amener à trancher en faveur d'Hillary.
1. La démographie. C'est bien beau d'être un candidat «post baby-boom», mais c'est simplement un peu tôt pour cela, alors que les «pré baby-boom» sont toujours là... Dans huit ans ç'aurait été mieux. Autre élément démographique évidemment non négligeable: les femmes composent plus de la moitié de l'électorat.
2. L'expérience. Obama est un pied tendre, tout jeune sénateur (John Kennedy, lui, était un candidat jeune qui était un sénateur expérimenté). C'est pourquoi aussi il est tout naturellement susceptible d'être attaqué sur ses prises de position politiques et associations antérieures; rien ne vient démontrer pratiquement qu'il aurait mûri, qu'il a réalisé autre chose dans l'intervalle. Là aussi, dans huit ans (à supposer qu'il ait évolué) ç'aurait été mieux.
3. La crédibilité.C'est évidemment plus subjectif. Mais que ce soit sur l'économie ou sur les relations internationales, les réflexes d'Obama sont incertains alors que ceux de Clinton sont solides. Le dernier épisode sur l'Iran est typique: à une question théorique sur une attaque nucléaire contre Israël, Clinton a offert la seule réponse acceptable en termes de dissuasion, la riposte nucléaire sur l'Iran. Qu'Obama ait cru devoir s'en écarter, trouver cela très excessif et pour tout dire «bushiste» signifie deux choses: il n'a pas compris qu'il était dans le contexte d'une question théorique dont le futur président doit montrer qu'il veut éviter qu'elle se pose; voire, plus grave, il s'est placé dans la position pratique d'avoir appris qu'Israël est rayé de la carte, et n'en est pas plus ému que cela. Et surtout, s'il s'agit de gagner et non seulement de se faire plaisir, en novembre, elle sera plus crédible face à McCain que lui - ce qui ne veut même pas dire qu'elle l'emportera!
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