Le double attentat survenu jeudi à Kaboul en est la terrible illustration: non seulement la prise du pays par les talibans ne signifie pas la fin du calvaire pour des Afghans épuisés par quarante années de guerres, mais surtout, les plus vulnérables risquent bien d’être ceux qui tentent l’exil, comme ils le font à l’aéroport de Kaboul et aussi, de manière moins visible, par dizaines de milliers déjà, aux frontières des pays voisins.

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L’histoire des guerres afghanes est aussi celle de la fuite d’une grande partie de la population. Or, dès que la date du retrait des troupes américaines commençait à se préciser, la question de l’accueil de ces nouveaux réfugiés a surgi un peu partout, et particulièrement en Europe, un continent peu enclin à laisser se reproduire la «crise» de 2015, qui avait vu affluer par milliers les déshérités syriens.

«Nous avons appris la leçon», clament aujourd’hui les responsables européens, à l’image de la Suédoise Ylva Johansson, commissaire aux Affaires intérieures et à l’Immigration. La leçon? C’est celle qui consiste à offrir davantage d’aide humanitaire sur le terrain pour alléger les difficultés, mais surtout à «acheter» – n’ayons pas peur des mots – les faveurs des pays voisins pour qu’ils servent de barrière face à un «déferlement» de réfugiés qui, entre autres conséquences, fait croître dans les mêmes proportions le populisme d’extrême droite en Europe.

La Turquie, le Maroc, la Libye…

Leçon retenue face à la Syrie, où la Turquie joue, contre espèces sonnantes et trébuchantes, ce rôle de barrage délocalisé. Leçon retenue aussi par l’Espagne qui n’en finit plus de dérouler le tapis rouge aux dignitaires marocains pour qu’ils jouent le même rôle en Méditerranée occidentale. De manière beaucoup plus cynique encore, c’est la même «solution» qui a été retenue en Libye, où armée et milices œuvrent comme les gendarmes de l’Occident, fût-ce au prix de méthodes barbares et inhumaines.

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Aujourd’hui, les regards se tournent vers le Pakistan, l’Iran et la Turquie, où sont déjà installés des millions de réfugiés afghans. Cette manière de garder le problème à distance contribue toutefois à offrir à ces pays un puissant levier. La Turquie l’a démontré à plusieurs reprises, face à la Grèce notamment, en «lâchant» ses réfugiés pour compromettre les Européens. Le président Recep Tayyip Erdogan répète ces jours que la Turquie n’est pas un «entrepôt de stockage» où les Européens peuvent déposer à loisir les requérants d’asile dont ils ne veulent pas.

Propos insultants

Ces propos insultants sonnent comme une annonce visant à faire monter les enchères. La Russie, pour sa part, tient à peu près le même langage plus au nord, du côté du Tadjikistan ou de l’Ouzbékistan. En verrouillant leurs frontières, les Occidentaux cherchent à se mettre à l’abri de secousses politiques intérieures. Mais ils exposent d’autres faiblesses face à des rivaux géopolitiques qui ont, eux aussi, «compris la leçon».

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