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L’Education nationale, psychodrame français permanent

ÉDITORIAL. Sous Macron, les progressistes ont d’abord eu l’impression de confier leurs enfants à un dangereux réactionnaire élitiste. Désormais, les conservateurs craignent de les amener à un dangereux anarchiste déconstructeur

Jean-Michel Blanquer et Pap Ndiaye lors de la passation de pouvoir à l'Education nationale vendredi. — © Christophe Ena / Keystone
Jean-Michel Blanquer et Pap Ndiaye lors de la passation de pouvoir à l'Education nationale vendredi. — © Christophe Ena / Keystone

Grand chamboulement dans l’Hexagone: l’historien spécialiste des questions de discrimination Pap Ndiaye devient ministre de l’Education nationale. Il succède à Jean-Michel Blanquer, plus conservateur, grand défenseur de la laïcité et pourfendeur du wokisme, cet «obscurantisme qui sape la démocratie», selon lui. Il n’en fallait pas plus pour que la droite dure dénonce une grande «déconstruction du pays, de ses valeurs et de son avenir», selon les mots de Marine Le Pen.

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En quoi ces questions concernent-elles le ministre de l’Education nationale, qui s’occupe davantage de l’organisation du cursus et de la rémunération des profs que du fond du programme scolaire? Et pourquoi l’éducation est-elle toujours une guerre idéologique en France?

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Une institution au service des valeurs

Ce poste a souvent été très exposé. En partie à cause des syndicats d’enseignants, qui sont parmi les plus offensifs. Mais surtout parce qu’avec ce ministère, les Français ont un peu l’impression de mettre leurs enfants entre les mains d’une institution rigide, verticale et donc incarnée par une seule personne, le ministre. On se souvient des attaques subies par Najat Vallaud-Belkacem accusée de propager la théorie du genre dans les manuels scolaires en pleine Manif pour tous. C’était l’identité sexuelle de toute une génération qui était en jeu, selon les plus remontés.

Sous Macron, les progressistes ont donc d’abord eu l’impression de confier leurs petits à un dangereux réactionnaire élitiste. Les conservateurs craignent désormais de les jeter dans les bras d’un dangereux anarchiste déconstructeur. A tel point que pour l’Insoumis Alexis Corbière, Pap Ndiaye a été choisi car il fallait «déblanquériser» l’Education nationale. Et au bout du compte, l’une des écoles les plus inégalitaires d’Europe n’aura pas beaucoup changé, si ce n’est en termes procéduraux et administratifs.

C’est que dans la mythologie de cette grande nation ultracentralisée et étatiste, l’Education nationale a pour mission de former ses citoyens aux «valeurs de la République». Et ce, depuis les années 1880, quand Jules Ferry a décidé d’alphabétiser l’ensemble de la population à marche forcée. Une mission intégratrice qui se doit d’éliminer toutes les différences et qui tranche avec la vision suisse de l’école qui forme avant tout à juger par soi-même. Dans ce contexte, on s’étonne moins que Pap Ndiaye et ses apports sur l’étude des discriminations soient perçus comme un danger par les extrémistes qui se muent en intégristes de la République quand ça les arrange.