Une rumeur court: la voie bilatérale est morte, et la Suisse est en train d’entrer dans l’Espace économique européen (EEE) par la bande. Une telle affirmation est pourtant erronée.

D’abord, la voie bilatérale n’est pas du tout enterrée. C’est uniquement sa conception traditionnelle, non évolutive qui est condamnée puisque même le Conseil fédéral n’en veut plus. Pourtant, aussi bien la Suisse que l’UE n’envisagent qu’une relation future qui soit bilatérale.

Il est aussi faux d’affirmer que la Suisse va rejoindre l’EEE. En effet, du côté de la Commission européenne, il n’est nulle part fait mention d’une demande à la Suisse de le rejoindre. Cela ressort du document publié par Le Temps le 2 octobre 2012.

Et, du côté suisse, ce n’est pas l’objectif affirmé par le Conseil fédéral. Dans sa lettre du 15 juin 2012, la présidente, Eveline Widmer-Schlumpf, ne propose pas une telle option. De toute manière, une telle perspective est inenvisageable en politique intérieure suisse. En effet, la nouvelle UDC blochérienne a fondé une grande partie de sa légitimité sur sa victoire contre l’EEE.

Par contre, une chose est sûre: aussi bien le Conseil fédéral que la Commission européenne gardent l’EEE comme point de référence, comme «benchmark». En effet, les documents produits par ces deux exécutifs sont truffés de références explicites ou implicites à l’EEE.

Ainsi, le Conseil fédéral propose une nouvelle solution que l’on pourrait qualifier de «Voie bilatérale +». Il y aurait quelques reprises d’éléments institutionnels contenus dans l’EEE, mais de manière limitée.

L’élément le plus spectaculaire de la nouvelle position suisse concerne la reconnaissance du principe de l’«Homogénéité de l’application et de l’interprétation du droit». Lesquelles seraient essentiellement contrôlées par une nouvelle autorité de surveillance, clin d’œil à l’«EFTA Surveillance Authority» de l’EEE. Pour l’instant, le Conseil fédéral propose que cette autorité de surveillance soit nationale.

Quant à la position de la Commission européenne, on pourrait la qualifier de «Voie bilatérale ++». Cela resterait donc bien une relation bilatérale, mais plus proche de l’EEE. Par exemple, concernant la nouvelle Autorité de surveillance, celle-ci devrait être supranationale et non pas nationale.

Concrètement, quelles différences principales demeurent entre une voie bilatérale et l’EEE?

D’abord, au niveau du contenu, l’approche bilatérale repose sur le principe du «à la carte», alors que l’EEE est plus proche de l’idée d’un «menu», celui du marché intérieur. Par exemple, contrairement à l’EEE, la Suisse n’est pas obligée de reprendre le droit de la concurrence de l’UE, ni les services financiers, ni le volet social.

Surtout, au niveau institutionnel, le problème se pose quand la Suisse doit reprendre l’évolution du droit communautaire pertinent (qui signifie le droit ayant fait l’objet d’accords avec la Suisse ou contenu dans l’EEE; cela n’implique donc pas des domaines comme l’euro, la défense, la TVA ou l’agriculture).

Explications: dans l’EEE, tous les Etats du pilier AELE doivent agir de manière coordonnée. Le pilier AELE est constitué de la Norvège, de l’Islande et du Liechtenstein. Donc soit ils reprennent tous ensemble l’évolution du droit communautaire, soit ils refusent de concert.

Ainsi, si la Suisse était dans le pilier AELE de l’EEE et ne voulait pas reprendre l’évolution du droit européen pertinent, elle subirait les pressions des autres Etats de l’AELE si ces derniers voulaient suivre l’UE.

A contrario, si un autre Etat de l’AELE ne voulait pas reprendre le nouvel acquis communautaire, la Suisse serait entraînée dans ce refus.

Par contre, dans les futurs accords bilatéraux, si un autre Etat de l’AELE ne voulait pas reprendre l’évolution du droit des accords bilatéraux, la Suisse ne serait évidemment pas entraînée dans ce refus puisque sa relation resterait bilatérale avec l’UE.

De plus, concernant de possibles mesures de rétorsion par l’UE parce qu’un Etat de l’AELE n’aurait pas repris l’évolution du droit communautaire, elles seraient générales dans le cas de l’EEE et ne concerneraient pas uniquement le domaine où la Suisse n’aurait pas repris l’évolution du droit de l’UE.

Surtout, dans l’EEE, la proportionnalité de ces contre-mesures est laissée à la discrétion de l’UE, alors que dans la future voie bilatérale elle pourrait être confiée à un tribunal mixte, du moins c’est la proposition de la Suisse.

Aujourd’hui, l’EEE reste donc d’actualité. Non pas comme objectif, mais parce que les actuels pourparlers entre la Suisse et l’UE sont perpétuellement marqués par le «benchmark», le point de référence institutionnel de l’EEE.

Le Conseil fédéral propose une nouvelle solution que l’on pourrait qualifier

de «Voie bilatérale +»

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