L’égalité ne sera jamais atteinte sans briser le tabou menstruel
Opinion
OPINION. Alors que le Conseil fédéral est enfin entré en matière pour baisser la taxe sur les protections hygiéniques, le tabou des règles pèse toujours lourd sur les droits des femmes de par le monde. La santé menstruelle devrait devenir une priorité des politiques publiques, estime Julie Jeannet, journaliste pour Amnesty International

Le 21 février, le Conseil fédéral est enfin entré en matière pour baisser la taxe sur les tampons et serviettes hygiéniques. Ces produits, de première nécessité, sont encore aujourd’hui taxés à 7,7%, comme des produits de luxe, alors que la litière pour chat l’est à 2,5%. Une somme importante si on estime qu’une femme en consomme en moyenne 15 000 dans sa vie.
La santé menstruelle ne devrait pas être un luxe. Pourtant, de par le monde, 500 millions de femmes et de filles n’ont pas accès aux protections hygiéniques. Elles doivent recourir à des chiffons, du papier ou parfois de la terre, ce qui entraîne souvent des infections. En Afrique, une fille sur dix manque l’école chaque mois, faute de protection. Le tabou menstruel pèse lourd sur les droits des femmes. Sans accès aux protections hygiéniques, d’autres droits comme celui à la santé ou à l’éducation sont compromis.
Pour faire monter la mayonnaise
Au Népal notamment, dans les régions rurales, les femmes sont considérées comme impures lorsqu’elles ont leurs règles et doivent s’isoler dans de petites huttes. Une semaine par mois, soit environ 2040 jours de leur vie, ces femmes vivent recluses. Elles doivent manger et dormir séparées de leur famille, ne peuvent entrer dans les temples ni utiliser les mêmes installations sanitaires. On prétend que si des femmes s’approchent des maisons quand elles ont leurs règles, elles pourraient y mettre le feu, attirer les tigres et contaminer les cultures.
Des superstitions similaires frappent aussi sous nos latitudes, avec des conséquences moins dramatiques. On disait encore à ma mère qu’elle ne pourrait jamais faire monter une mayonnaise durant ses menstruations. On a longtemps justifié le fait qu’une femme ne pouvait être à la tête d’un Etat ou d’une entreprise par le risque qu’elle perde ses moyens suite aux fluctuations d’hormones.
Au lieu d’être considérées comme une malédiction, les règles devraient être célébrées!
L’égalité ne sera jamais atteinte sans briser le tabou menstruel. Nous pouvons toutes et tous y contribuer. Il faut éduquer les filles et les garçons, leur dire que le sang menstruel ne porte pas la poisse. Ne pourrions-nous pas commencer par ne plus le représenter dans les publicités par un liquide bleu et arrêter d’utiliser des paraphrases pour désigner les menstruations? Au lieu d’être considérées comme une malédiction, les règles devraient être célébrées!
Pas d’impact cognitif
C’est ce que font les «activistes menstruelles». Certaines distribuent des coupes menstruelles (un petit objet en silicone, une alternative écologique et économique aux tampons). D’autres militent pour que les protections hygiéniques soient remboursées par l’assurance maladie. Enfin, des scientifiques contribuent à casser les clichés. Une étude, publiée dans Frontiers in Behavioral Neuroscience en 2017, prouve que la production d’hormones durant les menstruations n’interfère pas sur les fonctions cognitives.
La santé menstruelle devrait devenir une priorité des politiques publiques. Il faut mettre un terme aux superstitions qui justifient les discriminations contre les femmes. Enfin, les protections hygiéniques doivent être accessibles à toutes, y compris aux femmes migrantes, à celles qui vivent dans la rue ou qui sont en prison. Une femme ne devrait jamais avoir à choisir entre se nourrir ou porter un tampon.
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