Le terme «dématérialisation» peut laisser penser que la monnaie pourrait être dépourvue d’impact matériel, donc environnemental. Il est vrai que celui-ci apparaît inférieur à celui de beaucoup d’autres activités. Une étude menée aux Pays-Bas estime que, pris ensemble, les paiements en cash et par cartes de crédit ne représentent en 2015 que 0,015% de toutes les émissions carbone du pays. Difficile donc de penser leur réduction comme une priorité. Mais, pour dresser ce bilan, il faudrait aller bien au-delà de l’inventaire des dépenses énergétiques directes de production et d’usage de la monnaie et inclure l’ensemble de la charge environnementale induite par le fonctionnement à un échelon mondial de la sphère financière et de ceux qui y travaillent.
L’énergie pour les paiements cash et les cartes de crédit
L’empreinte écologique est évoquée pour la cryptomonnaie bitcoin, tant la consommation électrique nécessaire à sa production paraît extravagante. Actuellement, l’émission de CO2 pour sa production est supérieure à celle de la Suisse. Or le volume des transactions réalisées avec cette cryptomonnaie est dérisoire. Au niveau mondial, il serait inférieur à celui des transferts par téléphone portable du seul Kenya… L’usage du bitcoin est surtout spéculatif. Mais si celui des autres cryptomonnaies se développait, leur coût écologique pourrait être considérable.
Toute activité humaine a un impact environnemental, mais l’empreinte de chacun des systèmes monétaires et financiers varie. L’étude menée aux Pays-Bas indique que l’énergie dépensée pour l’usage d’une carte de crédit représente les trois quarts de celle d’un paiement en cash. Son coût environnemental direct implique la frappe et la destruction pour usure des pièces et l’impression des billets, leur stockage, leur diffusion dans des distributeurs automatiques et auprès des commerçants, leur collecte ainsi que leur destruction finale. On doit remarquer ici que la production et l’usage de véhicules blindés (qui n’ont que cette destination) sont une forte charge. Ajoutons que les distributeurs de billets fonctionnent 24 heures sur 24.
L’empreinte écologique des paiements par carte est largement déterminée par le fait que les terminaux sont connectés en permanence. Et la charge environnementale des paiements dits «dématérialisés» tient à la fabrication de leurs supports (pensons à leurs composants électroniques) et à l’électricité pour transférer et stocker les informations.
Les parties prenantes sont multiples: banques centrales et trésors publics, banques, mines, imprimeries, fabricants de matériel informatique et de distributeurs automatiques de billets, compagnies chargées du transport des espèces et de leur sécurité, et bien sûr les utilisateurs producteurs de biens et services et consommateurs.
Argument pour la disparition du cash
Des comparaisons doivent donc être faites. Cela au niveau de chaque pays car densité démographique, systèmes monétaro-financiers et modes de consommation notamment révèlent des spécificités. Avec des conséquences quant à l’impact de l’usage des différents moyens de paiement sur l’environnement. Des réflexions doivent être menées sur les multiples possibilités de réduire tout ou partie des empreintes écologiques de chaque système de paiement et de transfert. Même si l’effet immédiat apparaît limité, cette réflexion collective peut contribuer à mieux prendre conscience de cette contrainte forte de changements urgents dans les façons de produire et de vivre.
La comparaison de l’empreinte écologique directe de l’usage du cash avec celle des cartes de paiement, de crédit et des transferts électroniques par ordinateur ou par téléphone constitue a priori un argument en faveur de la disparition des pièces et billets.
Toutefois, compte tenu des conséquences des modes de paiement sur le fonctionnement des sociétés, leur effet environnemental ne saurait être le seul critère de décision des autorités et des usagers.
Les risques du sans cash (qui a lui-même des effets matériels) portent notamment sur les détournements de fonds par des hackers informatiques, la panne généralisée des systèmes de paiement, sans oublier le contrôle des populations via l’enregistrement de leurs choix de consommation, de leurs déplacements.
Il convient donc, plutôt qu’à l’éradication du cash, de penser à des techniques diminuant son empreinte environnementale. Cela est possible notamment par une évolution de ses modes de production et de ses formes. Par exemple grâce au cash back (la possibilité pour les prestataires de biens et services recevant du cash d’en fournir sur demande) ou avec des porte-monnaie similaires aux anciennes cartes téléphoniques, non reliés à des centrales et opérant localement et anonymement. Sans oublier l’utilisation d’énergies renouvelables pour produire et faire circuler la monnaie.
Jean-Michel Servet est professeur honoraire à l’Institut de hautes internationales et du développement.