On sait très bien ce que consomme un bâtiment pour son chauffage ou une voiture pour se déplacer. On sait aussi très bien qu’il faut de l’énergie pour fabriquer un bâtiment ou une voiture, ainsi que pour les matériaux utilisés, ce que l’on appelle l’énergie de fabrication. Par contre, on ne sait jamais très bien quel est le montant de cette énergie de fabrication, ainsi que la consommation d’autres éléments comme l’eau. Savez-vous qu’il faut 400 000 litres d’eau pour fabriquer une voiture? Et 30 tonnes de matière première? Et que l’énergie de fabrication d’un bâtiment représente 25 à 50 ans de consommation du bâtiment en question. Cela devient de plus en plus important, car la consommation du chauffage durant la vie d’un bâtiment ou la quantité d’électricité consommée par un appareil électronique devient de plus en plus petite suite aux remarquables efforts que l’on fait pour avoir des bâtiments ou des appareils autonomes. Il serait donc bon de considérer dans tout produit le total de l’énergie, soit l’énergie de fabrication et l’énergie lors de son utilisation. Un record en énergie de fabrication est la pile alcaline: il faut fournir 50 fois plus d’énergie pour la fabriquer que celle qu’elle fournira à son utilisateur.

Un ordinateur personnel exige pour sa fabrication 6 à 7 gigajoules (GJ) et 1500 litres d’eau. Si l’on prend une durée de vie de 3 ans, l’énergie consommée est de 1,4 à 2,7 GJ pour un ordinateur de bureau et de 0,8 à 1,5 GJ pour un PC à la maison. L’énergie de fabrication est donc bien plus grande. De plus, en moyenne, on change tous les trois ou quatre ans de machine. Il serait bien plus raisonnable de remettre à niveau une machine de 3 ans d’âge, en tout cas le clavier, l’écran, les puces mémoire, le boîtier, ce qui devrait coûter 1,7 GJ, plutôt que de changer toute la machine (6-7 GJ). Il y a aujourd’hui 150 millions de PC usagés (75% ont entre 3 et 4 ans) stockés ici ou là. Il y a des compagnies qui commencent à vendre à bon prix ou à donner à certaines conditions des PC usagés, mais remis à neuf.

Il est intéressant de se poser la question de l’énergie de fabrication pour l’industrie des semi-conducteurs, car chacun d’entre nous utilise journellement des dizaines de puces électroniques. Il y a deux types de puces: celles utilisées par des gros ordinateurs dans des centres de données comme Google, et les puces dans de petits appareils portables comme les montres, prothèses auditives ou réseaux de capteurs sans fil. Pour le premier type, l’énergie de fabrication est petite car ces puces consomment beaucoup lors de leur utilisation, qui est continue. Pour le deuxième type, c’est le contraire, l’énergie de fabrication est plus grande (100 kilojoules) que l’énergie en phase d’utilisation (80 kilojoules). En effet, ces applications ne fonctionnent que ponctuellement et consomment vraiment extrêmement peu.

Prenons une puce électronique de 1 cm2. L’énergie de fabrication est de 4,2 kWh ou 1,7 litre de pétrole. De plus, il faut de 18 à 27 litres d’eau. Pour 1 kg de puces électroniques, cela fait 10 000 litres d’eau, à comparer à 1400 litres pour 1 kg de céréales et à 16 000 litres d’eau pour 1 kg de bœuf. Combien de puces équivalentes à 1 cm2 sont produites chaque année? Ce chiffre peut se calculer en sachant qu’il y a environ un milliard de transistors produits par personne sur terre, et donc, connaissant le nombre de personnes sur terre et le nombre de transistors sur 1 cm2, on arrive à 14 milliards de puces équivalentes à 1 cm2 produites par année (en réalité, probablement bien davantage, car la moyenne des puces est nettement inférieure à 1 cm2). Il est dès lors possible de calculer l’énergie de fabrication: 24 milliards de litres de pétrole par an. Si l’on compare à l’industrie automobile, en prenant 800 millions de voitures dans le monde, 20 000 km par an et 5 litres par 100 km, on arrive à 800 milliards de litres d’essence par année. Or on sait que l’énergie de fabrication des voitures est environ les 2/3 de l’énergie consommée en essence. Ainsi, une voiture émettant officiellement 180 grammes de CO2/km dans les classements connus des voitures les plus vertes peut très bien culminer à plus de 500 grammes de CO2/km en ajoutant l’énergie de fabrication. Celle-ci peut être nettement plus grande pour de grosses et lourdes voitures, et le classement de la Prius est remis en cause si l’on tient compte de l’énergie de fabrication.

Comparant alors l’énergie de fabrication des voitures (estimée à 1500 milliards de litres de pétrole) à celle de l’industrie des semi-conducteurs (24 milliards de litres de pétrole), cette dernière ne représente pas plus de 2% environ. Si l’on s’intéresse à la consommation d’eau, on obtient environ le même rapport, soit 2%, entre la consommation d’eau de l’industrie des semi-conducteurs (400 milliards de litres) et celle de l’industrie automobile (20 000 milliards de litres). Avec 2%, l’électronique n’est pas en si mauvaise position.

Concernant d’autres produits comme un panneau solaire photovoltaïque, on entend souvent que celui-ci nécessite davantage d’énergie de fabrication qu’il n’en produira pendant toute sa durée de vie. Rien n’est plus faux! Il faut entre une année et trois ans pour qu’un tel panneau produise l’équivalent de l’énergie qu’il a fallu consentir pour le fabriquer. Cela dépend de la technologie utilisée et de sa localisation au sud ou au nord de l’Europe. Et, étant donné que sa durée de vie est estimée à 30 ans, le panneau solaire produit ainsi 10 à 30 fois son énergie de fabrication.

Il en va de même pour la lecture d’un journal sur une tablette du genre iPad. En analysant le processus de fabrication d’un journal papier, on arrive à un chiffre de production de CO2 entre 158 et 270 kg pour un journal lu par 2,8 personnes en moyenne. Si l’on analyse alors la fabrication d’une tablette, on arrive à 5 kg de CO2 pour lire un journal transmis sans fil, ce qui représente 32 à 140 fois moins. On dispose aussi de chiffres pour des téléconférences comparativement à des voyages. Là, il est évident que les téléconférences produisent significativement moins de CO2 qu’un voyage (environ 200 fois moins).

A cela il faudrait encore ajouter l’énergie nécessaire pour le démantèlement ou l’élimination du produit, ce qui donne que les 63% d’énergie de fabrication dans les produits d’un ménage moyen ne sont qu’un minimum.

Savez-vous qu’il faut 400 000 litres d’eau pour fabriquer une voiture? Et 30 tonnes de matière première?

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