L’engagement des compagnies aériennes en faveur du climat? De la poudre aux yeux!
Opinion
Un nouvel accord sur la protection climatique globale dans le domaine de l’aviation vient d’être conclu. Son point central est la croissance climatiquement neutre à partir de 2020, qui concernera toutes les compagnies aériennes. René Estermann, directeur de la Fondation suisse myclimate exprime son scepticisme

A l’occasion du Forum aéronautique mondial de l’OACI qui s’est tenu début octobre, les deux grandes associations sectorielles, l’Association du transport aérien international (IATA) et l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), ont annoncé un accord sur la protection climatique globale. Son point central est la croissance climatiquement neutre à partir de 2020 qui concernera toutes les compagnies aériennes. Si les pays membres de l’OACI participaient aux négociations de la conférence de Paris sur le climat, on constate pourtant que ce traité n’est malheureusement que de la poudre aux yeux et qu’une grande opportunité a été gâchée.
Des efforts louables, mais dans les détails…
L’offre du secteur de l’aviation comprend des mesures de réduction louables mais surtout dues au progrès technique et à des considérations économiques. Aujourd’hui, les associations s’attendent à ce que le trafic aérien, à partir de 2020, génère 3% de pollution atmosphérique en plus par année. Le souhait d’une croissance neutre en carbone ne semble pas mauvais en soi. Malheureusement, les milliards de vols qui servent de base à cette croissance ne sont pas considérés. Or, ces vols ont chaque année un impact climatique 20 à 25 fois plus élevé que l’ensemble de la Suisse avec toutes ses industries, ses automobiles, la consommation et l’agriculture.
Tous les projets de compensation ne se valent pas
La neutralité climatique fonctionne à l’aide de projets qui réduisent la pollution de l’air dans la même proportion qu’elle est causée. Ce système de compensation est établi et, lorsqu’il est correctement mis en œuvre, propose d’immenses avantages. Il fournit une solution pragmatique et favorise le développement durable dans le monde entier. Mais même dans les projets de compensation subsistent des différences: des projets très efficaces y côtoient d’autres de mauvaise facture.
Ces derniers sont bien moins strictement contrôlés et leurs effets s’avèrent plus faibles (parfois même négatifs) sur les pays et les personnes concernés. Leur avantage réside clairement dans leur prix: ils sont 10 à 20 fois moins chers à l’achat que les projets de qualité. Il est à craindre que ce seront précisément ces projets à faibles coûts que soutiendront les compagnies aériennes.
Cette offre apparemment généreuse ne couvre donc seulement qu’une petite partie du problème réel et lui fait face avec des mesures où on préfère le prix à l’efficacité. Or, c’est dorénavant la pollution de l’air totale qui devrait être compensée. Mais l’offre se trouve à la traîne, ce qui est regrettable et incompréhensible. Une protection du climat ambitieuse n’est en rien un doux rêve écolo. Elle pourrait même se réaliser sans aucune perte nette pour les compagnies aériennes.
Et si les passagers prenaient aussi leur part de responsabilité?
Les chiffres publiés par l’IATA (source: Fact sheet Fuel, juin 2016) montrent clairement que les compagnies aériennes vont économiser, par rapport à 2014, 100 milliards de dollars en coûts d’exploitation en raison de la baisse des prix du kérosène. Il suffirait qu’une partie seulement de cette manne inattendue mais pas unique soit dédiée à la responsabilité environnementale pour déclencher un énorme impact sur l’environnement et le développement durable dans le monde entier.
Rien ne s’opposerait non plus à ce que les passagers prennent leur part de responsabilité. Les consommateurs sont prêts à payer une contribution avec les entreprises. Par exemple, avec un coût supplémentaire de moins de dix francs pour un voyage vers New York, les compagnies aériennes s’engageraient de façon crédible et manifeste en faveur du climat.
Ce qui est fatal pour le climat
Aux yeux des passagers, il apparaît positif que des parties d’économies soient répercutées sur une baisse des prix. D’un point de vue économique, la forte augmentation des bénéfices semble être une bonne nouvelle. Mais pour le climat et pour nous tous, ça s’avère fatal. La fondation myclimate exige un vol obligatoire climatiquement neutre en se fondant sur le principe juste et éprouvé du pollueur-payeur, appliqué avec succès depuis des décennies, en Suisse notamment pour les déchets ou les eaux usées. Personne ne peut s’imaginer des lacs, rivières et forêts propres sans le principe du pollueur-payeur; il doit en aller de même avec les vols!
René Estermann, directeur de la fondation suisse de protection climatique myclimate
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