Les débats d’opinions qui demandent à se positionner du côté du oui ou du non, comme celui opposant le philosophe et député genevois Jean Romain et le futur président de l’EPFL Martin Vetterli à propos de l’enseignement du numérique à l’école (LT du 29.10.2016), ont tendance à enfermer les intervenants dans une position tranchée et ne favorisent guère la nuance.

Ainsi, Jean Romain se positionne clairement contre le renforcement du numérique à l’école. Les arguments qu’il avance peinent cependant à convaincre, en particulier les enseignants.

Eloigné de la réalité du terrain

Probablement du fait qu’il observe le sujet d’un peu trop haut, éloigné de la réalité du terrain, du fait aussi qu’il ne s’autorise aucune nuance et qu’il recourt à des arguments douteux. La pression des marques, l’obsolescence programmée des machines existent en effet, peuvent agacer, mais ne doivent pas nous amener à écarter l’utilisation des ordinateurs et tablettes à l’école.

Nous devrions sinon nous passer de la plupart des avancées technologiques. Viennent ensuite les arguments habituellement développés par Jean Romain lorsqu’il écrit à propos de l’école. Là-dessus, un nombre croissant d’enseignants, pour ne pas dire la majorité, opine du chef. A juste titre.

Oui, il faut renforcer les connaissances dites fondamentales. Oui, il faut éviter la dispersion, maintenir un certain seuil d’exigence et doter les élèves d’une culture solide.

Développer la réflexion

Mais pourquoi affirmer dans la foulée que le numérique participe au recul des exigences? Pourquoi associer de facto le numérique au virtuel ludique, voire abrutissant? Pourquoi sous-entendre une incompatibilité entre l’enseignement du numérique et le maintien d’un certain niveau d’exigences dans d’autres disciplines scolaires? L’introduction d’une heure par semaine (par exemple) d’informatique dans la grille horaire des élèves ne va ni bouleverser ni péjorer l’enseignement du français et des mathématiques!

Le numérique, dont il est question ici, regroupe l’étude de logiciels de programmation et l’éveil à l’algorithmique, le «comment ça marche?». Loin d’abrutir, ces enseignements visent à développer l’esprit logique, poussent à la réflexion et aident à mieux comprendre certains enjeux, comme le relève M. Vetterli (sphère privée, régulation des voitures autonomes, robotique, etc.).

Comprendre la quatrième révolution industrielle

De plus, la programmation informatique trouve des applications concrètes – déjà au sein de la scolarité obligatoire – dans l’enseignement des mathématiques, des sciences et d’autres disciplines également. C’est une forme de complémentarité souhaitée par le plan d’études romand adopté en 2010 par la CIIP.

En outre, la quatrième révolution industrielle avance bon train et fait craindre une pénurie importante d’informaticiens en Suisse à court terme (LT du 3.11.2016: «La Suisse menacée par une pénurie d’informaticiens»). L’école obligatoire n’a certes pas pour mission première de former de futurs employés, mais elle ne peut ignorer un mouvement de cette importance. Susciter l’intérêt, donner des clés de lectures pour mieux comprendre et vivre cette quatrième révolution, voilà un pari que doit relever l’école de ce XXIe siècle bien entamé. Tout en conservant des exigences élevées dans les disciplines qui font l’Homme. Une affaire d’équilibre, de complémentarité. In medio stat virtus, disaient les Romains.


Gilles Saillen est enseignant au cycle d’orientation en Valais.

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