Les forêts suisses sont menacées par les changements climatiques: sécheresses, canicules et parasites mettent en péril leur survie. Comme rapporté par Le Temps du 8 juillet, l’état de «catastrophe forestière» a récemment été décrété par le canton du Jura, où l’on estime que près de 100 000 m3 de bois sont en passe de dépérir. Si ces chiffres se confirment, cela représentera la plus grande catastrophe touchant les forêts suisses, plus destructrice que l’ouragan Lothar en 1999. Si la disparition des forêts est une des conséquences des changements climatiques, elle en est également une cause au niveau global. Les forêts jouent en effet un rôle de puits de carbone, en capturant le CO2 présent dans l’atmosphère et en le stockant sous forme de biomasse. La destruction de surfaces forestières est ainsi la troisième cause d’émissions de gaz à effet de serre dans le monde, après l’approvisionnement énergétique et l’industrie, une situation qui ne semble pas s’améliorer d’après les chiffres récents sur la déforestation au Brésil (Le Temps du 7 août 2019) et les incendies ravageurs en cours. Le problème de la déforestation est d’ailleurs un des points soulevés dans le dernier rapport du GIEC, publié le 8 août.

Reforestation mondiale massive

Dès lors, un nouveau plan d’action pour les forêts au niveau mondial est nécessaire. Une étude récente de l’équipe du Prof. Thomas Crowther de l’EPFZ a estimé qu’une reforestation mondiale massive pourrait réduire considérablement la concentration en CO2 dans l’atmosphère. En Suisse, le potentiel de boisement est limité par la densité importante de population et les surfaces en altitude. Toutefois, la surface forestière et le volume de bois sur pied croissent depuis plusieurs décennies. Cette situation, d’apparence positive, révèle une réalité plus sombre. En effet, l’exploitation du bois étant peu rentable en Suisse, les arbres vieillissent, ce qui ralentit le renouvellement et affaiblit la capacité de résilience des forêts suisses, cruciale dans un contexte de changements climatiques rapides. Sans intervention de l’Etat, le bois suisse ne serait pratiquement pas exploité. En effet, le coût élevé de la main-d’œuvre et les restrictions légales et topographiques ne lui permettent pas d’être compétitif par rapport à ses concurrents étrangers. Aujourd’hui encore, alors même qu’une bonne partie des déficits est compensée par les deniers publics, le potentiel d’exploitation est loin d’être atteint.

La population suisse attache une grande importance aux services non marchands de la forêt

Une étude financée par le Programme national de recherche 66 «Ressource bois», menée par les équipes du Prof. Baranzini de la Haute Ecole de gestion de Genève et du Prof. Milad Zarin-Nejadan de l’Université de Neuchâtel, a montré qu’une exploitation accrue du bois suisse permettrait, outre la production d’un matériau durable, d’améliorer la capacité des forêts à remplir leurs multiples fonctions, sans diminuer sa surface. En effet, l’étude révèle que la population suisse attache une grande importance aux services non marchands de la forêt. Cependant, comme ces services n’ont pas de prix, ils ne peuvent pas être intégrés dans les décisions des propriétaires forestiers. Dans le contexte suisse actuel, l’exploitation du bois engendre en effet ce qu’on appelle des bénéfices externes. Ces bénéfices se matérialisent par la provision de services écosystémiques, comme l’habitat pour la biodiversité et la possibilité de pratiquer des activités de loisirs en forêt, et sont donc aujourd’hui fournis en quantité insuffisante.

Intervention des pouvoirs publics

Si ces services n’ont pas de prix, leur valeur pour la population n’en est pas moins importante. Dans sa thèse de doctorat en économie, Nicolas Borzykowski a estimé ces valeurs en termes monétaires, ce qui permet de les intégrer dans les prises de décision. La population suisse attribue ainsi une valeur équivalente à 1800 francs par an et par ménage pour les loisirs dans les forêts de plaine (soit plus de 6 milliards de francs au total) et serait prête à payer environ 500 francs par an et par ménage pour agrandir les réserves forestières et ainsi favoriser la biodiversité.

Les pouvoirs publics prennent conscience de l’importance des services écosystémiques des forêts et des importants bénéfices qui en découlent pour la population. Le projet «Nos-Arbres» en ville de Genève a permis de définir la nouvelle politique de la ville en matière de boisement. Comme ils représentent un bien public, les arbres en ville font, à raison, l’objet d’un financement public. De la même manière, l’entretien de la forêt suisse doit être davantage soutenu par les entités publiques, ce qui permettrait d’accroître la production durable de bois suisse, tout en assurant les autres fonctions de la forêt, en limitant les risques liés au changement climatique et en améliorant le bien-être de la population.


Nicolas Borzykowski est docteur en économie, Haute École de Gestion de Genève, Andrea Baranzini est professeur d'économie, Haute École de Gestion de Genève et David Maradan est le directeur d'Ecosys


A lire:

Le Temps publie des chroniques et des tribunes – ces dernières sont proposées à des personnalités ou sollicitées par elles. Qu’elles soient écrites par des membres de sa rédaction s’exprimant en leur nom propre ou par des personnes extérieures, ces opinions reflètent le point de vue de leurs autrices et auteurs. Elles ne représentent nullement la position du titre.