Ma semaine suisse

Sur le dos de l’environnement

Depuis deux mois les bons arguments contre Ecopop ont été déclinés à l’envi. L’initiative surestime la croissance démographique; elle néglige toute justification pour donner la priorité aux Suisses sur les immigrés dans la question de l’accès aux ressources; elle suggère que l’on peut mieux protéger le paysage et la nature en cultivant son jardin en vase clos, alors que les solutions écologiques vraiment efficaces sont globales, donc internationales. J’y souscris pleinement.

Que nous dit, en revanche, cette campagne sur la démocratie directe? La discussion aura été virulente, souvent excessive à entendre les noms d’oiseau attribués aux écopopistes, maudits comme la peste et parfois salis sans autre motif que la rage ou la haine. Cette logorrhée collective a-t-elle fait progresser la cause de l’écologie prétendument servie par les initiants? Je ne le pense pas.

Ecopop, par son caractère outrancier et simpliste, a profondément divisé les partisans d’une protection sincère et sérieuse de la nature et des ressources. Elle a affaibli ce camp déjà fragile au moment précis où il peine à marquer des points dans un contexte politique moins favorable que dans un proche passé.

Si Ecopop devait finalement l’emporter, un peu par hasard, comme l’initiative de l’UDC «Contre l’immigration de masse», on peut craindre qu’elle apporterait davantage de confusion qu’elle ne pousserait à agir dans le sens souhaité par les initiants. Si elle est refusée avec un bon score, ce qui reste le scénario le plus probable, ses partisans pourront toujours dire qu’ils ont «donné un signal à Berne». Mais là, j’ai un problème. C’est irresponsable de jouer ainsi avec le feu. On l’a vu le 9 février, quand de nombreux votants ont justement voulu «donner un signal», sans imaginer deux secondes que leur vote aurait des effets inattendus et non souhaités par eux-mêmes. Souvenons-nous que seulement 19 302 voix, c’est-à-dire 0,25% de la population résidente en Suisse, ont imposé de changer d’un coup les paramètres de la politique migratoire et surtout, dans la foulée, bousculé la politique étrangère de la Suisse. Cela avec des conséquences qui pourraient pénaliser à terme 100% de la population.

Au nom du grand principe de la protection des ressources et de la nature agité comme un hochet, Ecopop sollicite un oui facile et égoïste, un oui gratuit car il ne nous coûte aucun effort et il ne changera en rien nos modes de consommation. Logiquement, nous aimerions tous que le climat ne se réchauffe pas, que la pollution n’étouffe pas nos villes, que les routes ne soient pas encombrées par les bouchons, que les quartiers périphériques ne mangent pas les bonnes terres à proximité de nos cités, que les constructions ne banalisent pas nos beaux paysages, que la nature soit entretenue par des agriculteurs fiers d’exercer leur mission écologique. Mais dès que nous sommes consultés sur des mesures qui font mal au porte-monnaie ou qui écornent notre confort, il n’est plus question de donner un signal écologique. Nous ne sommes pas préparés à ce genre de sacrifices. Spontanément nous disons non au litre d’essence facturé 5 francs, non aux surtaxes sur les énergies de chauffage polluantes, non à la hausse de la vignette autoroutière. Nous rechignons à laisser notre voiture pour marcher ou prendre le bus ou le train et nous aspirons plutôt à davantage d’espace habitable, si possible avec terrasse ou petit jardin.

La grande discussion qui devrait mobiliser l’intelligence collective et la créativité des gouvernants, des politiques, de l’économie et de la société civile, c’est celle de la croissance qualitative. Quel compromis pour quelle mesure ayant un réel impact écologique sans casser notre prospérité mais en lui préparant un socle durable? Ecopop n’a ni changé les perceptions, ni fait avancer ce débat d’un millimètre. L’initiative a au contraire braqué, fédéré et sans doute renforcé tous ceux qui ne veulent pas d’une politique d’aménagement du territoire plus musclée, cherchent à diluer le vote contre les résidences secondaires, boudent une fiscalité écologique innovante et audacieuse et refusent la vérité des coûts dans les politiques des transports et de l’énergie. Sous couvert de bloquer une évolution considérée comme une menace, Ecopop a mené une campagne passéiste, sur le dos de l’environnement.

Ecopop n’a pas fait avancer d’un millimètre le vrai débat qui compte: celui de la croissance qualitative

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