Revue de presse
Le débat est encore vif en Espagne et en France sur les méfaits de l’organisation terroriste qui s’est officiellement sabordée jeudi à Genève. Le pardon est loin d’être acquis, selon les médias

«Agur, ETA» («Salut, ETA»), ose le journal catalan El Periódico de Catalunya, qui rappelle l’avertissement du gouvernement: «Il n’y aura pas d’impunité.» Officiellement dissoute jeudi à Genève, l’Euskadi Ta Askatasuna – plus connue sous son acronyme ETA, l’organisation armée basque indépendantiste d’inspiration marxiste (révolutionnaire) active du 31 juillet 1959 au 2 mai 2018 – achève donc ce vendredi son processus de dissolution lors d’une «conférence» aux allures de cérémonie d’adieu à Cambo-les-Bains, dans le sud-ouest de la France, où des personnalités internationales viendront se porter garantes de la bonne foi de feu l’organisation indépendantiste basque.
Lire aussi sur l’ETA et le Pays basque:
- L’annonce: Dissolution en mai
- L’histoire: Le désarmement, antichambre de la dissolution
- Le «happening»: Disparition à Genève
- L’analyse: Le choix de Genève
- L’éditorial: La mort, et après?
- Les archives: «Journal de Genève», «Gazette de Lausanne» et «Le Nouveau Quotidien»
Ce qui ne veut pas dire que le débat est clos. Car pour l’écrivain et journaliste Sergio del Molino, du quotidien numérique madrilène Ctxt.es (Contexto y acción) – cité par Courrier international – l’ETA «était déjà morte» et «elle aurait mieux fait de s’épargner ses communiqués interminables et de seulement disparaître en silence». Pour lui qui a «passé la semaine à écouter et lire des réactions […], y compris les plus intelligentes et les plus perspicaces, [elles] ressemblent à la liturgie de la messe, aux tables de multiplication, à la monotonie de la pluie qui bat les vitres. […] Qu’ils demandent pardon. Qu’ils admettent les torts causés. Et alors? Qui se soucie encore de ce repentir ou de cette confession à l’heure actuelle? Qui diable fait ces excuses? Une demi-douzaine de mecs qui ne suffisent même pas à constituer une bande de gros durs.»
La fin d’ETA, dans @Le_Figaro de ce vendredi. Pages 1, 2 et 3. pic.twitter.com/uqYEp483h2
— Mathieu de Taillac (@mdetaillac) 3 mai 2018
D’ailleurs, sont-ce là vraiment des excuses? N’est-ce pas «trop mou», tout ce cirque? En avril, au moment de l’annonce de sa dissolution, l’ETA avait prononcé «un pardon insuffisant», selon El País. Largement insuffisant, même, pour l’organisation «créée en 1959 pour lutter contre le régime franquiste et qui s’est transformée dans les années 1960 en groupe armé revendiquant l’indépendance du Pays basque». On connaît son bilan: «853 morts, sans compter des centaines d’enlèvements et la violence urbaine», des centaines de mutilés et de nombreuses extorsions de fonds. «Patrons, artisans et entrepreneurs de la région ont été dans la ligne de mire […] durant des dizaines d’années, rappellent Les Echos, soumis au racket et aux menaces d’enlèvement. La mémoire des années de plomb reste vive.»
"Je crois que c'est une bonne chose que ce soit fini maintenant. Parce que, il y avait beaucoup de morts, et beaucoup de douleur" - réactions après l'autodissolution de l'ETA #AFP pic.twitter.com/nm8rP5Bh2Y
— Agence France-Presse (@afpfr) 3 mai 2018
En avril, le communiqué «aux citoyens et citoyennes qui n’ont aucune responsabilité dans le conflit» avait été vécu «comme un affront par les associations de victimes, les partis politiques ou les familles de militaires ou de policiers tués dans des attentats». Le groupe faisait donc «une distinction entre les victimes qu’elle considère étrangères au conflit et les autres», commentait le quotidien madrilène, pour lequel «en dépit de ce pardon, l’ETA ne se [remettait] pas en cause sur cinq décennies de terreur qui n’ont servi à rien». Ce qui n’empêche pas certains de vouloir continuer la lutte:
L'#ETA qui annonce sa dissolution, c'est une période entière qui s'achève. Une période celle de la resistance, de l'anti franquisme, mais aussi celle de l'infiltration, des trahisons et des martyrs.
— Gorri ta Beltza 🎗 (@GorriTaBeltza) 3 mai 2018
Un bain de sang dont l'instrumentalisation n'est pas terminée
La lutte continue pic.twitter.com/itGm8EE0Hd
Et la presse basque elle-même? «Outre-Pyrénées, les journaux consacrent tous leur une au sujet», contrairement à la presse généraliste espagnole qui «a tendance à reléguer la nouvelle au second plan». Pour les Noticias de Gipuzkoa, à Saint-Sébastien, l’ETA «s’éclipse relativement discrètement», offrant néanmoins une trop belle occasion aux internautes de se déchaîner, pour ou contre «les tueurs» et «les bourreaux», et qui rappellent au passage les méfaits du franquisme:
«Une fin symbolique qui ne console pas les victimes», titre également Le Monde, qui écrit que selon le Colectivo de víctimas del terrorismo en el País vasco (Covite), la dissolution de ce vendredi à Cambo-les-Bains constitue «une campagne de propagande pour les héritiers politiques» de l’ETA; un «finale spectaculaire», selon les termes de Libération. D’ailleurs, «ni le gouvernement espagnol de Mariano Rajoy ni le gouvernement basque, présidé par le lehendakari (président basque) Iñigo Urkullu, du Parti nationaliste basque (PNV, modéré), n’y ont […] envoyé de délégation, afin d’éviter de cautionner la mise en scène». Pour ce dernier, «tout cela n’aurait jamais dû exister», dit-il dans Sud-Ouest.
ETA, c’est fini. Et maintenant? Les 270 prisonniers pourront ils être transférés vers le Pays Basque,voire espérer des aménagements de peine?Paris a assoupli sa politique pénitentiaire,Madrid ne fera aucune concession. Ce vendredi matin @Europe1 avec @EguzkiUrteaga et @LofLefort pic.twitter.com/TPQR9hd1mO
— Henry de Laguérie (@henrydelaguerie) 3 mai 2018
Et maintenant? Jean-Pierre Massias, professeur de droit à l’Université de Pau et des pays de l’Adour, a donné quelques clés pour l’avenir du Pays basque au quotidien La Montagne. «On part du principe, dit-il, que les conséquences nées de la violence doivent être traitées dans des politiques de mémoire et éventuellement de réconciliation», puisque «le gouvernement espagnol considère qu’on n’est pas en situation de conflit mais face au terrorisme et que l’Etat de droit a gagné». Cette mémoire «va devenir un enjeu extrêmement important car, pour l’instant, il y a cohabitation entre deux mémoires, deux mondes qui ne se reconnaissent pas».
La CIA juge l'ETA pire que Daech en France https://t.co/ykjzl9j6AL pic.twitter.com/uqcbasRFq4
— L'Express (@LEXPRESS) 3 mai 2018
«La logique», poursuit-il, c’est donc qu’à un certain moment se mette en place une amnistie: «Le conflit basque est l’incarnation de deux grandes contradictions de l’histoire espagnole. Il est d’abord la contradiction du pardon et de l’amnistie des franquistes. ETA naît à l’époque du franquisme et le combat, c’est ce qui va lui donner une partie de sa légitimité. Et la deuxième contradiction, c’est le statut territorial du Pays basque et de l’Espagne en général. Est-ce que la démocratie espagnole s’est comportée comme une démocratie?»
La réponse n’est pas évidente, le débat existe aussi en Catalogne. Alors «il faudra bien un jour, toujours selon le professeur de Pau, que le gouvernement de Madrid reconnaisse la situation… Il faudra bien. Mais on n’a pas encore trouvé l’homme politique madrilène» qui serait un «de Gaulle espagnol», «capable d’aller vers une politique qui n’était pas la sienne»…
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