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Comment donc dépasser des rapports inconciliables entre un «nous» mythifié et des «autres» différés pas plus loin que l’autre versant du boulevard périphérique? Comment faire admettre la normalité, les potentialités d’un «nous autres Français»?
Entreprendre un processus de guérison du dysfonctionnement identitaire passe d’abord par un geste de reconnaissance de la question coloniale pour ses aspects refoulés relatifs en premier lieu à l’histoire de l’Algérie française. Un déni d’histoire persiste et insiste dans la culture française contemporaine. Pour conjurer le mal-être français face à l’étrangéité d’une partie de sa propre population, le temps est venu de faire remonter en surface un certain nombre d’impensés sur le passé antérieur. Nous évoquons un temps où, pour paraphraser Péguy, la surface de la terre où la langue française était parlée se mesurait aux canons et aux mitraillettes.
A l’occasion du soixantenaire de l’indépendance de l’Algérie, le 5 juillet 1962, il est en votre pouvoir, Monsieur le Président, d’adresser au peuple algérien un message de fraternité pour les malheurs qu’il a endurés, tout en assumant la responsabilité historique de la France. Ce geste de reconnaissance et d’excuses, que la France devra tôt ou tard accomplir vis-à-vis d’un peuple colonisé comme rarement dans l’histoire, a été attendu des décennies durant. Il manque des hommes et des femmes d’Etat pour porter cette parole de vérité au nom du peuple français et de ses idéaux universels. On ne peut pas rester indéfiniment otage d’un passé auquel on n’a pas participé et dont pour l’essentiel plus personne ou presque ne peut endosser le projet impérialiste: vous avez la légitimité, l’indépendance et, j’espère aussi, le courage pour clamer cette parole de vérité.
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En tant que culture de la domination, le colonialisme fut un viol qui n’a laissé indemnes ni les colonisés ni les colonisateurs. Si l’Algérie indépendante a elle aussi opéré un refoulement de certains épisodes de sa guerre de libération, si elle a connu la dictature et la guerre civile, cela montre que l’on ne sort pas facilement de plus d’un siècle de colonialisme et qu’elle aussi, tôt ou tard, devra affronter ses propres démons du passé et du présent, et mettre des mots pour traiter sa propre crise identitaire.
Pour ce qui est de l’Etat français, tant qu’il n’aura pas clairement expliqué ce qui s’est passé durant des décennies et des siècles, condamné ce qui aujourd’hui relève de crimes de guerre et contre l’humanité, la discorde identitaire, le rejet et la discrimination trouveront un champ fertile dans le refoulement du passé. Ce que vous pouvez entreprendre par ce geste et l’expression de regrets est une identification qui replace l’histoire du colonialisme, de ses manifestations et ses conséquences contemporaines dans une destinée commune. Ceci permettrait d’expliquer justement pourquoi un Corse, un Kabyle, un Martiniquais, un Basque, un Sahélien, un Alsacien se retrouvent à partager un devenir commun au sein de l’espace national.
Reconnaissez, Monsieur le Président, au nom de toutes les victimes – civils algériens, pieds-noirs, harkis, soldats français –, l’expropriation et la déportation, les massacres de Sétif et Guelma, l’usage du napalm et de la torture. Faites en sorte que votre présidence soit aussi l’occasion d’ouvrir vos universités et vos laboratoires à tous ces jeunes qui, issus de cette histoire occultée, cherchent – dans le passé ou la religion – comment produire du savoir et du sens.
En vous adressant au peuple algérien au nom du peuple français, vous vous adresserez à tous les autres peuples ayant subi le colonialisme, et avant cela la déportation et l’esclavage. Cette démarche solennelle, symbolique est une manière de poser un regard lucide et calme sur le passé et de prendre soin de l’avenir.