Après la Deuxième Guerre mondiale, l’Europe s’est déchargée de sa défense sur les Etats-Unis. Aujourd’hui, la stratégie des Etats-Unis est en train de changer. Les interventions américaines sur le continent européen obéissent à des critères limitatifs et privilégient les actions multilatérales: en Ukraine avec l’UE et l’OSCE. Les Etats-Unis tournent désormais leur attention vers l’Asie-Pacifique. Le destin de l’Europe est entre ses mains. Il y a pourtant un gros obstacle à la capacité de défense et d’influence européenne. Il est d’ordre institutionnel, à savoir les divergences de vues entre Etats membres de l’Union européenne au sujet de la politique étrangère et de sécurité.

Constatons encore que les agendas européens et russes ne s’arrêtent pas à la question ukrainienne. L’Europe fait face à une crise de croissance qui est aussi une crise politique et de sécurité. Du point de vue européen, il est clair que la Russie menace sa frontière à l’est, mais il est aussi clair que l’Etat islamique est actif sur son flanc sud. Pour faire face au problème des réfugiés et à celui du terrorisme, l’Europe a besoin d’alliés. Mais aussi, les intérêts géostratégiques russes et la présence sur le territoire russe et à ses frontières de populations musulmanes sont des raisons pour la Russie d’intervenir en Syrie, le risque pour la Russie étant celui de l’enlisement. La Russie aussi a besoin d’alliés. Par conséquent, il y a certainement une fenêtre d’opportunité pour renouer le dialogue et tenter de résoudre les problèmes qui empoisonnent les relations entre la Russie et l’Europe.

Bien sûr, on peut d’abord penser à une approche large et penser que l’Europe a besoin d’une architecture de sécurité plus résiliente, capable d’absorber les crises et qu’ainsi nous avons besoin d’intégrer la Russie et les Etats de l’ex-URSS dans un système de sécurité européen.

Je me souviens d’une conférence de l’OSCE en Grèce. La Russie proposait une série de nouvelles règles afin de modifier la charte d’Helsinki et d’élaborer un nouveau traité européen de sécurité. Le moins que l’on puisse dire est que cette proposition fut accueillie avec scepticisme.

Même si je suis de l’opinion que nous devrions réfléchir à l’intégration de la Russie dans un système de sécurité collective à l’échelle européenne et pourquoi pas dans le cadre de l’OSCE, le processus est peut être prématuré tant le sujet est délicat sur le plan politique et se révélerait certainement long et compliqué.

A mon sens, une approche plus pragmatique, pas à pas, à vrai dire moins ambitieuse mais plus réaliste et efficace à court terme pourrait être un chemin possible, l’objectif étant d’améliorer la coopération bilatérale entre la Russie et l’Europe.

J’aimerais évoquer ici l’exemple de la Suisse, qui n’est pas membre de l’Union européenne mais néanmoins intéressée à un large accès au grand marché européen et à un partenariat avec l’UE. Quelque 140 accords bilatéraux sectoriels couvrant des domaines variés comme celui du commerce, de la sécurité ou de l’environnement ont été signés, ratifiés et mis en œuvre entre la Suisse et l’Union européenne. Cette manière de faire pourrait être utile à la fois pour résoudre des problèmes de sécurité et des problèmes économiques. Ou d’autres. En effet, étant bilatéraux, ces accords sont suffisamment flexibles pour s’adapter aux difficultés à résoudre et à la nécessité de la compatibilité avec des systèmes économiques et normatifs différents; étant sectoriels, ils peuvent porter également sur des questions de sécurité.

Appliquée à l’Ukraine, la méthode pourrait signifier de travailler à un ensemble d’accords bilatéraux avec la Russie lui assurant une coopération économique privilégiée, ces accords étant en phase avec l’Union économique eurasiatique ainsi qu’avec l’accord d’association conclu avec l’Union européenne. Elle pourrait encore signifier une série d’accords portant sur la mise en œuvre de l’accord de Minsk.

Appliquée à la Russie et à l’UE ou à d’autres Etats européens, la méthode se conjuguerait avec des accords bilatéraux portant sur des réponses concrètes à des problèmes communs comme la prolifération des armes, les combattants étrangers, les exportations de denrées alimentaires ou de voitures par exemple.

L’histoire nous apprend que la sécurité et le bien-être de l’Europe ne peuvent exister et être durables sans la Russie. Je crois donc à l’inévitable amélioration des relations entre la Russie et l’Europe. Parce qu’il n’y a pas d’alternative.

Micheline Calmy-Rey a été cheffe du Département fédéral des affaires étrangères de 2003 à 2011. Elle exposera ses vues lors d’une conférence sur le thème: «Russie-Europe: Comment sortir de la crise?», jeudi 10 novembre à Uni Bastions (Genève).

Programme de la journée: www.unige.ch/gsi/fr/actualites/russie-europe-comment-sortir-de-la-crise/

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