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Christian Lüscher, vice-président du PLR suisse, ne voit pas pourquoi on en reviendrait à l’EEE alors que la diplomatie suisse a su forger une voie à succès, le bilatéralisme. A ses yeux, la position tranchée de Bruxelles à l’égard de Berne ne signifie pas que la voie soit condamnée, c’est plutôt une incitation à rester ferme et à poursuivre la négociation
Nos relations avec l’Union européenne posent deux questions essentielles: la nature de nos rapports commerciaux et économiques et la question de la souveraineté.
Prenons l’économie. La Suisse est l’une des nations les plus globalisées, elle commerce avec le monde entier. Pourtant, l’UE se taille la part du lion: deux tiers de notre commerce extérieur se fait avec elle. Les échanges commerciaux avec l’UE représentent 1 milliard de francs par jour ouvrable! C’est au bénéfice de notre pays, qui a renoué avec la croissance depuis la signature des accords bilatéraux. C’est aussi au bénéfice de l’UE et de ses membres, puisque la balance commerciale penche en sa faveur à hauteur de 40 milliards de francs par an, que notre pays héberge plus d’un million de citoyens de l’UE et que 250 000 personnes passent la frontière pour y travailler. Ces mouvements ne sont pas au détriment des Suisses, qui connaissent le taux de chômage le plus bas d’Europe. Il est donc nécessaire que nous ayons des accords qui facilitent les rapports commerciaux avec l’UE et permettent le déplacement des travailleurs. Ce mouvement des personnes se fait de manière contrôlée grâce aux mesures d’accompagnement qui sont régulièrement réévaluées et renforcées.
Parallèlement, il y a la souveraineté. L’histoire suisse diffère de celle des autres pays européens, elle qui n’a heureusement connu ni les deux guerres mondiales, ni le joug soviétique. La Suisse est plus attachée que d’autres à sa souveraineté, à sa capacité de faire elle-même ses choix. Cette indépendance est renforcée par la démocratie directe, qui permet au peuple de soutenir ou de défaire ce que le parlement a fait. La voie bilatérale choisie par la Suisse après 1992 est celle qui convient le mieux à notre pays. Elle est dans l’intérêt mutuel des deux partenaires. L’UE gonfle parfois les muscles à notre égard, comme elle le fera certainement dans ses «conclusions» en cette fin d’année, ce qui, dans un contexte de négociations, ne doit pas nous impressionner. Mais elle ne saurait oublier que nous sommes son troisième partenaire commercial, derrière les Etats-Unis et pratiquement au même niveau que la Chine, et que notre pays est un grand fournisseur d’emplois au sein du marché unique.
Le PLR avait soutenu l’EEE en 1992. Mais nous ne sommes plus en 1992! Depuis, la Suisse a su développer une voie originale, créée au forceps, un vrai exploit de la diplomatie suisse alors que nombreux disaient – déjà – qu’on fonçait «dans le mur». On est au contraire allé vers le succès et la croissance. La Suisse et l’UE ont pu développer, pour leur bénéfice mutuel, les principaux avantages du marché unique, sans que notre pays doive renoncer à des pans de souveraineté. La voie bilatérale préserve mieux les droits souverains du peuple suisse.
Aujourd’hui, sous prétexte qu’une votation a eu lieu il y a 20 ans, on voit mal pourquoi il faudrait refaire le débat sur un EEE qui, au lieu de six, ne compte plus que trois pays… et peut-être bientôt deux. Surtout, on voit mal pourquoi on souhaiterait payer plus cher ce que la Suisse a su obtenir autrement. La Suisse veut-elle vraiment, comme il le faudrait dans l’EEE, accorder un droit de séjour permanent sans conditions (après un séjour de cinq ans) pour les ressortissants de l’UE et leurs familles ressortissantes d’Etats tiers? Libéraliser entièrement les services postaux? Abandonner les garanties des banques cantonales? Reprendre le Cassis de Dijon sans exceptions? Diminuer la protection de la propriété intellectuelle? Et veut-elle reprendre automatiquement les évolutions du droit de l’UE en renonçant au référendum?
Quant aux défaitistes qui estiment qu’on est arrivé «dans le mur», ils ressassent les mêmes litanies que pendant les Bilatérales I. La suite a démontré l’inverse. Dans une négociation, il est normal que les deux parties affirment fermement leurs positions. Et tant que tout n’est pas conclu, rien n’est acquis. Cela ne veut pas dire que les choses ne progressent pas, même lentement. Une négociation, c’est dur. Il faut donc garder le cap et tenir ses nerfs.
Les propositions institutionnelles du Conseil fédéral permettent de mieux défendre la souveraineté et les intérêts de la Suisse. Bien sûr, c’est dur. Mais les discussions ont cours et elles continueront en janvier. Et depuis quand la Suisse craindrait-elle des négociations difficiles? La seule chose qui compte, c’est le résultat. Alors, plutôt que de leur tirer dans le dos, soutenons le Conseil fédéral et les services de Didier Burkhalter qui négocient âprement avec pour défendre les intérêts et la souveraineté suisses.
La Suisse a besoin d’une équipe soudée derrière son gouvernement plutôt que d’une équipe nationale qui compte autant de stratégies que de joueurs.
Le PLR avait soutenu l’EEE en 1992. Mais nous ne sommes plus en 1992! La voie qui a été créée est un exploit
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