Opinion
OPINION. La protection spécifique développée par les tribunaux en lien avec le congé abusif réduit la marge de manœuvre des entreprises tentées de licencier, écrit Alexandre Curchod, avocat spécialiste FSA en droit du travail, ancien vice-président de tribunal de prud’hommes

La période d’incertitude et de fragilité économique que beaucoup d’employeurs connaissent actuellement réveille par nature la tentation de restructurer ou de licencier des collaborateurs pour alléger ses charges. Selon les cas, cela peut prendre la forme d’un licenciement collectif si les seuils de l’art. 335d CO sont atteints, d’un licenciement individuel ou d’une convention par laquelle les parties règlent les modalités de fin du contrat.
Nous nous concentrerons ici sur les deux dernières variantes, en faisant remarquer que par ses spécificités, notamment la concertation et les échanges qui le caractérisent, le processus de licenciement collectif est difficilement praticable en situation de confinement. Il peut se révéler inopportun. Que l’on soit ou non en situation de plan social obligatoire, on rappelle ici les devoirs d’assistance et de bonne foi de l’employeur prévus par l’art. 11 de la loi sur la participation.
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La protection en cas de licenciement abusif
En Suisse, où s’applique un droit d’essence libérale, la liberté de faire et de défaire les contrats de travail est largement reconnue. Tout comme le sont les restrictions prévues par la loi et la jurisprudence. L’employeur peut invoquer un motif économique réel – mais non la simple volonté d’augmenter les profits – à l’appui d’un licenciement ordinaire, c’est-à-dire donné en respectant le délai de congé (un licenciement immédiat pour raison de pandémie est exclu). Mais celui-ci sera nul ou suspendu au sens de l’art. 336c CO (la période de protection dépend de l’ancienneté) s’il vise un employé malade. L’employé en quarantaine ou en auto-isolement est protégé par cette même disposition selon certains auteurs, par l’art. 336 CO (congé-discrimination) selon d’autres. Si le travailleur fait valoir de bonne foi des prétentions légitimes, par exemple le non-respect des règles de sécurité, un licenciement donné pour cette raison serait abusif. Cela ne permet pas à l’employé de faire annuler le congé mais cela ouvre la voie au versement d’une indemnité, laquelle peut aller jusqu’à six mois de salaire. Un employé peut par ailleurs refuser de travailler si sa santé n’est pas préservée.
En cas de tempête comme par temps clément, la protection spécifique développée par les tribunaux en lien avec le congé abusif s’applique et réduit la marge de manœuvre des entreprises tentées de licencier. Le caractère abusif du licenciement peut ainsi découler de la manière dont l’employeur exerce son droit. La jurisprudence reconnaît le devoir de l’employeur d’agir avec égards pour l’employé. Ce devoir prend tout son sens au moment où certains travailleurs, sans être malades, sont néanmoins fragilisés par le (semi-) confinement imposé par les autorités et ses conséquences. Il y a par ailleurs une obligation de protection accrue des employés âgés au bénéfice d’une grande ancienneté. Ici, il ne suffit pas d’avancer un motif économique, fût-il sérieux. L’employé doit être préalablement entendu et les parties doivent tenter de trouver une solution pour maintenir les rapports de travail.
Les départs négociés
Au licenciement ordinaire, les entreprises comme les employés peuvent préférer les départs négociés, en particulier par les temps qui courent. A quelles conditions un accord de résiliation est licite et quelles sont les protections de l’employé dans ce contexte? La loi prévoit que le travailleur ne peut pas unilatéralement renoncer, pendant la durée du contrat et durant le mois qui suit la fin de celui-ci, aux créances résultant de dispositions impératives (art. 341 CO).
En revanche, des concessions réciproques sont admissibles si l'on est en présence d’une transaction mûrement réfléchie et équilibrée. Une telle situation est en tout cas présumée lorsque le travailleur est assisté d’un avocat. A défaut, l’intérêt de l’entreprise d’obtenir un accord dans des délais rapides pourrait, selon les circonstances, mener à un compromis dont la valeur juridique pourrait être remise en cause. Des questions délicates peuvent en effet se poser, notamment en présence de prétentions difficilement évaluables, par exemple si elles sont liées à un harcèlement allégué par l’employé ou au caractère abusif du congé dont pourrait par hypothèse se prévaloir ce dernier.
Sous ces réserves, une transaction permet aux parties d’échanger et de s’entendre de manière pragmatique sur des modalités qui tiennent dûment compte des circonstances concrètes. Un employé peut par exemple avoir un intérêt à terminer son contrat avant terme, dans le respect de l’art. 341 CO, parce qu’il a un nouvel emploi en vue. Une convention de résiliation anticipée est dès lors envisageable, à condition que l’accord repose sur des concessions substantielles et de même valeur. Le juge pourrait être amené, le cas échéant, à procéder à une pesée d’intérêts pour s’en assurer.
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