ÉDITORIAL. En envisageant d’introduire des contrôles à la frontière nord-irlandaise, la Commission européenne a commis une faute et démontré que la course aux vaccins peut provoquer des dégâts collatéraux considérables

La catastrophe n’a duré que quelques heures vendredi. Mais elle s’est tout de même produite. Après une semaine de récriminations envers AstraZeneca et le Royaume-Uni, la Commission européenne a envisagé – avant d’y renoncer – de contrôler les chargements de vaccins passant de la République d’Irlande à l’Irlande du Nord. Cette crise «brexitologique» dans la crise sanitaire peut paraître accessoire. En réalité, elle met en doute la crédibilité de l’Union et rappelle que rien ni personne n’est à l’abri des dégâts collatéraux engendrés par la pandémie.
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Si la question est si sensible, c’est que l’UE s’est battue pour éviter que les modalités du Brexit ne prétéritent les accords de paix en Ulster. Elle a contraint les Britanniques à accepter l’impensable: que l’Irlande du Nord reste dans le marché commun. Circuler et commercer sans entraves d’un bout à l’autre de l’île devait garantir que la concorde y demeure.
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Une porte dérobée?
Or voici que, un mois à peine après la fin du psychodrame diplomatique, l’UE rate le premier test grandeur nature. Craignant que l’Irlande du Nord ne devienne une porte dérobée permettant au Royaume-Uni de se procurer ses vaccins, Bruxelles a brièvement activé un article surnommé «l’option nucléaire». Sans prévenir quiconque mais en provoquant un rejet unanime de Londres jusqu’à Dublin, des brexiters aux remainers.
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Certes, dans les cercles concentriques d’égoïsme qui structurent la course aux vaccins, personne ne peut porter seul le blâme. Le gouvernement Johnson est déterminé à vacciner au plus vite sa population et s’en donne les moyens – en partie pour faire oublier sa gestion calamiteuse d’une épidémie ayant déjà tué plus de 100 000 Britanniques. L’UE, de son côté, vit aussi son heure de vérité: elle doit prouver qu’elle peut protéger ses habitants, quitte à se montrer intransigeante avec le monde extérieur.
Mais l’empressement coupable manifesté par la Commission vendredi entame sa stature morale sur la question irlandaise. Sa capacité à gérer la crise sanitaire – une compétence qu’elle n’a pas, mais qu’elle a de facto décidé d’assumer en partie – était déjà en question. S’y ajoute désormais sa capacité à gérer la pandémie sans se contredire sur d’autres dossiers. Dans la tempête, colmater une brèche en menaçant d’ouvrir une nouvelle voie d’eau ne fait pas un bon capitaine.
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Il y a 1 année
Quelle tragédie. Dans cette affaire compliquée, chaque partie porte une part de responsabilité éthique.
Mais, là, il faut bien avouer que la Commission s'est mal comportée. Si Dickens revenait, il ne manquerait pas de fustiger la vanité des uns et des autres.
Il y a 1 année
Si l’on comprend que les tabloïds anglais se ruent sur la décision hâtive de l’UE de contrôler les exportations de vaccins vers la Grande-Bretagne, il est surprenant de voir la presse européenne et vous -même emboîter le même chemin. Il serait bon de rappeler que :
-la Grande-Bretagne avait d’emblée exigé une clause de contrat pour être servie en premier
-elle a donc reçu largement des vaccins Astra-Zeneca produits en Belgique alors que dans son même contrat elle interdit aux Astra-Zeneca britanniques d’exporter hors de Grande-Bretagne
- elle a commandé cinq fois plus de doses que nécessaire pour sa population ; peut-être dans l’idée de les revendre au tiers-monde avec profit plus tard ?
Perfide Albion… Vous ne devriez pas lui emboîter le pas.
Il y a 1 année
Encore un point de vu de journaliste suisse. Qui a voulu le Brexit ? L’UE ne fait que défendre ses intérêts, l’Irlande du nord comme l’Ecosse doivent se tourner vers Londres et non pas vers Strasbourg.