Opinion
OPINION. Le désert technologique en zone rurale n’est pas une fatalité. Un appareil de radiographie adapté aux pays pauvres, développé à l’EPFL, promet de bousculer la médecine de proximité, témoigne le journaliste François Modoux dans un livre qui vient de paraître

En janvier 2017, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a publié un rapport reconnaissant pour la première fois la place de la radiographie du thorax dans le processus de diagnostic de la tuberculose. Une volte-face de l’agence onusienne qui a longtemps préconisé de se contenter d’analyser un crachat en laboratoire pour y détecter le bacille de la maladie. De nouveaux résultats spectaculaires, engrangés en Afrique, rendaient cette approche minimaliste intenable. L’imagerie détecte jusqu’à six fois plus de cas que la méthode du crachat.
Le virage de l’OMS était attendu depuis longtemps. Il sera d’une «importance majeure» pour l’Afrique, pronostique le médecin suisse Beat Stoll. «On meurt aujourd’hui davantage de la tuberculose que du sida», souligne l’enseignant et chercheur à l’Institut de santé globale de la Faculté de médecine de l’Université de Genève et directeur médical de la fondation EssentialMed, dans un ouvrage paru en octobre 2017 que j’ai consacré à cet enjeu de santé publique méconnu*.
Beat Stoll s’est formé en Suisse à la médecine tropicale et comme interniste. Puis il a été médecin hospitalier au Cameroun. Aujourd’hui, il s’investit pour mettre le high-tech for low cost (innovation technologique à bas coût) au service de la médecine. La nouvelle position de l’OMS le conforte dans sa conviction qu’il faut changer de perspective: «La radiographie doit être promue comme le couteau suisse de la médecine de premier recours du XXIe siècle. L’imagerie médicale est une condition pour faire de la bonne médecine de proximité dans les pays pauvres.»
Des chiffres accablants
Beat Stoll dépoussière l’image du médecin aux pieds nus soignant en brousse avec trois fois rien: la priorité, c’est de déployer la radiographie dans les hôpitaux de district; on renforcera ainsi la médecine de brousse. C’est quand il intervenait comme interniste au Cameroun qu’il a pris conscience de l’enjeu. Le déclic? «Beaucoup de mes patients mouraient des mêmes maladies qu’en Europe, mais je ne pouvais pas les diagnostiquer sans imagerie.» On est loin du cliché que l’on ne meurt en Afrique, pour ainsi dire, que de maladies infectieuses.
Plus des deux tiers de l’humanité n’ont tout simplement pas accès à des équipements opérationnels d’imagerie
L’obstacle, c’est l’accès à une technologie fiable. Les chiffres sont accablants. Klaus Schönenberger, docteur en ingénierie à l’EPFL et directeur de la fondation EssentialMed, souligne que seulement 13% de la population mondiale utilise 76% de tous les appareils d’imagerie médicale. Plus des deux tiers de l’humanité n’ont tout simplement pas accès à des équipements opérationnels d’imagerie. Autre constat décapant: trois quarts des appareils médicaux envoyés dans les pays pauvres ne servent jamais, a constaté l’OMS. Les appareils d’imagerie n’échappent pas à ce gâchis.
En 2010, un article scientifique** d’un groupe médical du Stanford Hospital (Etats-Unis) montrait déjà que le diagnostic par l’imagerie était devenu «une condition essentielle pour délivrer des soins efficaces en zone rurale». Les auteurs détaillaient comment ce besoin «avait longtemps été négligé» par la recherche et les prestataires de soins, publics et privés. Ils établissaient que les appareils de l’industrie occidentale étaient «inadaptés aux pays pauvres et à leurs conditions spécifiques».
L’EPFL développe un prototype
Associé à Klaus Schönenberger et à son collègue de l'EPFL Bertrand Klaiber, Beat Stoll a pour objectif de mettre enfin la radiographie à portée des pays en développement. Une initiative de recherche basée à l’EPFL a été lancée dans ce but. «Nous avons compris qu’il fallait repartir de zéro», explique le Dr Klaus Schönenberger, qui coordonne le programme multidisciplinaire EssentialTech du Centre de coopération et développement de l’EPFL. Le pari est de mettre sur le marché un appareil de radiographie totalement repensé, adapté aux contraintes locales d’un hôpital de brousse.
De cette démarche de rupture est né un prototype sur le campus lausannois. Il est le résultat d’une intense collaboration multidisciplinaire et internationale, avec les Hautes écoles spécialisées (HES-SO) en Suisse et le Centre hospitalier universitaire de Yaoundé, au Cameroun. Une start-up dirigée par Bertrand Klaiber, Pristem, lève des fonds pour passer à la prochaine étape, la phase industrielle. L’appareil sera commercialisé en 2019.
GlobalDiagnostiX, nom de code donné à la future machine, sera bourrée d’innovations. Elle sera plus robuste, plus simple à manier et nettement moins chère à produire et à entretenir. L’appareil suisse mise sur une radiographie conventionnelle, en deux dimensions, mais qui sera digitale. L’image sera directement visible et stockable sur un ordinateur portable. On sautera l’étape coûteuse en temps et en matériel du tirage de la radio sur un film. Faire une radiographie deviendra un acte simple et léger, qui ne coûtera presque plus rien à l’exploitation. La transmission simplifiée des images digitales favorisera la télémédecine; une réponse à la pénurie de personnel médical formé dans les hôpitaux de brousse.
Révolution tranquille pour les plus pauvres
«Un arbre qui tombe fait beaucoup de bruit; une forêt qui pousse ne s’entend pas», disait Gandhi. Sa sagesse s’applique au projet technologique et de développement qui mûrit en toute discrétion à l’EPFL. Les pères de GlobalDiagnostiX sont inspirés par la conviction que l’ordre établi peut être dépassé: une autre donne est possible. Une mutation technologique favorable aux pays les plus pauvres semble à portée de main. Si les espoirs ainsi créés se confirment, une révolution tranquille corrigera une injustice crasse.
*François Modoux, Odile Meylan: L’imagerie, couteau suisse de la médecine de brousse. Editions LED, Lausanne, 2017.
**Duncan Smith-Rohrberg Maru: Turning a blind eye: the mobilization of radiology services in resource-poor regions, Stanford Hospital (USA), 2010.
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