L’initiative fiscale du PS, un enfer déguisé en paradis
opinions
Jean-Hugues Busslinger, membre de la direction du Centre patronal, juge que l’introduction de taux minimaux pour l’impôt promet, à terme, une forte hausse de la pression fiscale
Le vote du 28 novembre prochain sur l’initiative déposée par le Parti socialiste intitulée «Pour des impôts équitables» sera déterminant pour l’avenir du système fiscal helvétique. En déposant un texte qui demande de fixer, sur l’ensemble de la Suisse, un taux d’impôt minimum sur les revenus supérieurs à 250 000 francs et sur les fortunes supérieures à 2 millions de francs, les auteurs de l’initiative avancent masqués. En effet, seul un nombre restreint de contribuables semble directement visé par le texte, qui exploite par ailleurs le filon «haro sur les riches!» cher à la gauche.
Qu’on ne s’y trompe cependant pas, le but poursuivi est bien plus ambitieux. Sous des dehors relativement anodins, elle a pour but d’instaurer l’harmonisation matérielle des dispositions fiscales cantonales, annonçant ainsi des hausses d’impôts pour l’ensemble des contribuables suisses, et constitue une attaque frontale contre le système fiscal fédéraliste.
Tout à leur logique d’une fiscalité à la fois fortement progressive et amplement redistributive, les auteurs de l’initiative n’hésitent pas à remettre en question la faculté bien helvétique accordée aux électeurs de conserver la haute main sur la quotité des impôts qu’ils doivent payer. C’est ainsi tout le rapport à l’impôt qui est remis en question. En effet, introduire dans la Constitution des taux d’impôt minimaux applicables sur le plan suisse au revenu et à la fortune ouvre une brèche dans la souveraineté fiscale des cantons et des communes et partant dans le droit accordé aux contribuables de se prononcer – au besoin par référendum – sur les sacrifices fiscaux qu’ils sont prêts à concéder. Indirectement, puisque la quote-part fiscale a pour but premier de financer les tâches étatiques, c’est aussi priver l’électeur d’une partie de son contrôle sur leur ampleur.
Depuis près d’une décennie, le Parti socialiste brûlait d’en découdre avec la concurrence fiscale, funeste verrou empêchant d’accroître la pression fiscale et dont les effets – dommageables évidemment – pouvaient aller jusqu’à justifier des baisses d’impôt dans certains cantons. On notera au passage que le caractère dommageable de cette concurrence n’est en rien prouvé: depuis près de 40 ans, le produit des impôts n’a cessé de croître plus fortement que le produit intérieur, alors même que certains taux d’imposition ont été abaissés. Certes, la concurrence fiscale peut paraître désagréable à certains responsables des finances cantonaux ou communaux. Cependant, si l’évolution des dépenses au niveau cantonal et communal est en règle générale bien maîtrisée, c’est justement grâce à la pression concurrentielle qui conduit à une utilisation ciblée des ressources.
Le fait que l’herbe fiscale soit plus verte dans un canton voisin ou sur le territoire de la commune adjacente présente un double avantage, à la fois pour les autorités et pour les contribuables. Pour les autorités, elle constitue un puissant stimulant afin que les prestations de la collectivité soient les plus efficientes possibles; pour les contribuables, elle évite que les coûts de fonctionnement de l’Etat, des cantons et des communes s’alourdissent sans que des prestations soient développées en contrepartie et incite l’officialité à raison garder face aux appétits de minorités agissantes ou à la tentation du «toujours plus, toujours mieux». Dans un système uniformisé, sans la pression liée au risque d’un changement de domicile ou de lieu d’implantation, l’appétit fiscal des gouvernements ou des administrations n’aurait plus guère de limite. Et la gestion économe des deniers publics n’aurait plus guère de raison d’être.
L’introduction de taux minimaux pour l’impôt sur le revenu et la fortune promet, à terme, une augmentation significative de la pression fiscale. Trois facteurs concourent à cet accroissement. Tout d’abord, comme le souligne la Conférence des directeurs cantonaux des finances, les cantons devront, pour répondre au principe de la capacité économique, éviter des discontinuités inconstitutionnelles dans leurs barèmes. Cela signifie que, pour conserver une certaine régularité à la progressivité des taux d’imposition, toute la courbe des barèmes devra être tirée vers le haut dans les heureux cantons qui connaissent des taux inférieurs aux minima prévus. Ensuite, on ne peut exclure que certains contribuables importants – qu’on sait particulièrement mobiles – auront tendance à rechercher des conditions plus clémentes, cas échéant à l’étranger. De tels départs ne seront pas sans conséquence sur les rentrées fiscales (un nombre restreint de contribuables paie une part significative des impôts) ce qui conduira, pour compenser, à augmenter la charge fiscale de ceux qui restent. Enfin, on doit sérieusement envisager que l’instauration de taux minimaux ne constitue qu’une première étape, qui sera suivie par la mise en place de taux et de déductions uniformes sur tout le territoire fédéral et l’on voit déjà que l’alignement ne s’effectuera pas à l’aune des cantons les plus modérés.
Nuisible car de nature à restreindre le contrôle des citoyens sur la fiscalité et les dépenses publiques, cette initiative annonciatrice de l’enfer fiscal doit être vigoureusement combattue.
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