Il y a de cela une quinzaine d’années, le professeur Timothy Harding, ancien directeur de l’Institut universitaire de médecine légale de Genève, avait comparé la mesure d’internement ordinaire à un «no man’s land». La formule était particulièrement bien choisie pour décrire cet enfermement illimité qui frappe les criminels considérés comme potentiellement dangereux et peu enclins à améliorer la structure profonde de leur personnalité. L’histoire carcérale d’un détenu vaudois, placé dans ce tunnel sans fin depuis dix ans, raconte aussi à sa manière ce désert hostile où la personne se sent dépourvue de tout droit et de toute perspective.

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Le souci sécuritaire, extrêmement présent dans l’opinion publique (qui a d’ailleurs accepté en votation la version encore plus extrême de l’internement à vie) et ravivé à chaque drame, trouve sans doute son compte dans ces mises à l’écart aussi radicales qu’inhumaines. Pourtant, c’est oublier un peu vite que les excès n’amènent pas à de réels progrès sur le terrain complexe et forcément incertain de la réinsertion et donc de la récidive.

Au contraire, les effets pervers d’un durcissement général des conditions permettant un retour progressif à la liberté de détenus condamnés à de lourdes peines, internés ou encore soumis à une thérapie en milieu fermé sont bien réels. Privés de toute motivation et de tout moyen d’évoluer, contraints de croupir en cellule sans échéance aucune ou avec un horizon terriblement lointain, certains prisonniers sont en quelque sorte condamnés à empirer et à entrer dans un cercle vicieux qui empêchera ou retardera d’autant plus tout pronostic favorable.

Une fuite en avant

Dans le sillage des multiples tours de vis donnés ces dernières années, un projet, inspiré par la conseillère nationale UDC Natalie Rickli, est actuellement en discussion devant les Chambres fédérales. Il prévoit que l’Etat indemnise le dommage causé par un récidiviste ayant bénéficié d’un allégement de sa sanction en cours d’exécution, et cela même si aucune faute n’est imputable aux représentants – juges, experts ou services pénitentiaires – concernés.

Cette idée n’est pas encore abandonnée par le parlement, même si tous les spécialistes craignent qu’une telle logique n’entraîne des réticences plus grandes à former des prévisions encourageantes et ne provoque des sorties plus abruptes, donc plus risquées. On pourrait ajouter que ce projet est bien inutile, car les pronostics sont déjà ultra-réservés et les autorités hyper-prudentes.

A Genève, récemment, on a même pu entendre un procureur réclamer un internement a posteriori pour un détenu qui purge une peine de prison à perpétuité en Suisse (qui peut donc déjà ne jamais être libéré) et qui doit encore solder une autre perpétuité en France avec un minimum de 22 ans. La tentative d’ajouter une mesure a été rejetée par la cour, mais elle est révélatrice d’une fuite en avant vertigineuse dans laquelle le processus de préparation à une libération devient totalement secondaire. Il est temps de rééquilibrer les choses.

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