Il ne s’agit pas de juger Tariq Ramadan par articles de presse interposés. Les accusations très graves portées contre l’intellectuel musulman suisse, désormais en congé de l’Université d’Oxford, sont maintenant du ressort de la justice. La responsabilité revient aux enquêteurs, à la suite des plaintes déposées contre l’intéressé, d’entendre sa version des faits et de lui permettre, si cela est possible, d’y apporter réponse.

Un autre aspect de «l’affaire Ramadan» mérite en revanche d’être débattu par les médias, car il interpelle les citoyens, nos systèmes politiques et la démocratie à l’heure du grand retour global du religieux. Appelons cela, pour faire simple, le syndrome des tartufes.

Un débat ancien

Comment, dans nos pays occidentaux confrontés aux demandes légitimes de représentativité politique de la communauté musulmane, éviter que des prêcheurs islamiques médiatiques disséminent des enseignements religieux et sociaux à des années-lumière de leur éthique personnelle? Comment s’assurer que le débat sur la place de l’islam dans nos pays ne soit pas manipulé, exploité, par des tartufes dont la dévotion n’est qu’apparence, et dont la prétendue sagesse est un instrument de pouvoir et de domination sur les fidèles, puis sur l’ensemble de la société?

Ce débat-là n’est pas nouveau. Molière, jadis, en fit son miel pour mieux dénoncer, à la cour de Versailles devant le très catholique Louis XIV, les faux dévots affairés à instrumentaliser l’Eglise. Tous les cultes, sans exception, et à toutes les époques, ont nourri en leur sein ces personnalités promptes à transformer leur charisme en puissance via leurs mensonges et manipulations.

De la prudence

La différence est qu’aujourd’hui, à l’heure d’Internet et de la diffusion massive de l’information, la naïveté n’est pas excusable. Le devoir incombe à tous, journalistes, hommes politiques, animateurs de télévision, universitaires, ou organisateurs de conférences, d’être prudents dans le choix des orateurs, et dans la distance requise, lorsque survient la question de la religion. Le goût du «bon client», du débatteur habile, de l’orateur doué et provocateur, ne doit plus nous aveugler.

Simultanément, une autre vigilance s’impose, vis-à-vis des sujets empoignés par Tariq Ramadan. Quels que soient les abus commis par ce dernier - s'ils sont avérés -  les questions qu’il posait à nos sociétés, et l’espoir qu’il représentait pour de nombreux musulmans, en particulier chez les jeunes, ne doivent surtout pas être jetés et foulés aux pieds.

Le propre des tartufes est de se servir de la religion pour leur intérêt propre. Mais affirmer que tous ceux qui les croient sont des coupables, voire des délinquants potentiels, serait une grave erreur à l’heure où le retour de Dieu dans le débat public est juste incontournable.

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