OPINION
OPINION. Le Conseil d’Etat, trop autoritaire, confond «dominer» et «exécuter», répond à ceux qui réclament un futur recteur issu de l’institution Baptiste Gold, qui a représenté les étudiants à l’Assemblée de l’Université de Genève jusqu’à la rentrée 2021

Le choix du futur recteur de l'Université de Genève a déjà fait couler beaucoup d'encre. Lire sur ce sujet:
Quand outrepasser la volonté démocratique devient un sport genevois de haut niveau…
Il était une fois, dans la contrée genevoise, une assemblée qui procédait à la désignation du recteur en respectant à la lettre ses prérogatives légales. Des mois de rigoureux labeur puis… une fuite médiatique. L’Assemblée de l’Université (AU) a commis l’impensable: elle a écarté des Genevois pour oser privilégier l’intérêt prépondérant de la communauté universitaire dans son ensemble. Levée de boucliers d’une conseillère d’Etat, crime de lèse-majesté et blasphème de l’entre-soi: aucun candidat issu de l’establishment. Pire, malgré les pressions d’en haut, le corps élu a l’audace de continuer le travail que la loi lui impose, sans se soumettre à la volonté d’un exécutif à bout de souffle dont il reste moins de 6 mois de règne. Pain bénit pour la presse à sensation: l’Unige au bord de la crise, la communauté universitaire déstabilisée, etc.
Retour aux sources
Mais qu’en est-il vraiment? Vérifions les conditions de ce blasphème si kafkaïen qu’il justifierait l’ingérence de l’exécutif au cœur du processus d’un organe représentatif élu démocratiquement. Puisque c’est bien ce qu’est l’AU (art. 31 et 32 de la loi sur l’Université, LU). Le législateur lui attribue la compétence spécifique de désigner le remplacement du recteur (art. 27 et 32 LU). Dans l’article 5 du règlement sur le rectorat, dont l’auteur n’est autre que le Conseil d’Etat lui-même, la personne nominée doit répondre aux conditions limpides et synthétiques suivantes: être titulaire d’un doctorat, bénéficier d’une expérience en matière de pilotage d’une institution semblable à l’Unige, et jouir d’un état de santé permettant de remplir les devoirs de la fonction. En d’autres termes, ni la nationalité ni l’appartenance au club hermétique des personnalités genevoises ne peuvent être exigées.
Même s’il semble si souvent se méprendre, et bien qu’il soit lui aussi élu démocratiquement, le rôle du Conseil d’Etat n’est autre que celui d’exécuter. Il n’est pas là pour substituer son avis à celui de la volonté d’une assemblée représentant toute la communauté universitaire au sein d’un établissement autonome. Sa seule prérogative (à l’article 6 de son propre règlement) est celle de nommer le recteur… désigné par l’AU (!).
Faire fi du droit?
Aurait-il oublié sa mission? Oui, car l’article 8 al. 2 de la Constitution fédérale proscrit la discrimination. En outre, un des deux candidats étant belge, il sied de rappeler le principe de non-discrimination s’agissant des ressortissants de l’UE (art. 4 ALCP). Très subsidiairement – c’est avec toute l’ironie du monde que j’écris ces mots – l’Etat est censé respecter le droit (par exemple la LU) et le principe de proportionnalité.
Or il est pour le moins malvenu – notez le bel euphémisme! – pour un exécutif sortant de s’opposer à un processus légal et démocratique pour improviser une condition violatrice de notre ordre juridique.
Les subtilités helvétiques autoproclamées
Quoi de plus facile que de surfer sur la fierté pour notre belle Suisse que chacun de nous sent vibrer en son âme? Car oui, tout ce foin trouve sa source dans un lieu commun aussi banal que famélique: le recteur doit connaître les subtilités d’un système institutionnel helvétique. Rappelons qu’en Suisse nous n’aimons pas les têtes qui dépassent. Par essence, si l’assiette des responsabilités du recteur donne le vertige, il n’a jamais le pouvoir monarchique de décider seul.
Et puis, il est pour le moins cynique de parler de «subtilités helvétiques» quand le canton fait toujours exception (les fameuses «Genferei») au sein de la Confédération. Or, n’est-ce pas là une identité partagée avec nos amis belges et québécois? Ces derniers n’ont-ils pas leur propre Röstigraben linguistique?
Certes, les subtilités helvétiques sont aussi considérablement caractérisées par nos relations avec la Berne fédérale et notre voisine l’Union européenne. Jusqu’à preuve du contraire, le Québec, bastion d’excellence et d’innovation académique envié du monde entier, est lui aussi – je sais, quel choc – doté d’un gouvernement (fédéral!) avec qui des budgets et autres contingences doivent être négociés. Quant à notre ami belge, n’est-il pas, par essence, d’autant plus qualifié s’agissant des relations, primordiales pour le monde académique, avec l’Union européenne?
A force d’autoproclamer nos «subtilités», n’en aurions-nous pas fourvoyé notre raison? Je déteste cette expression, mais l’irrésistible envie me vient de l’écrire: à bon entendeur!
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