Macron, ce néolibéral
OPINION
OPINION. Plusieurs intellectuels ont choisi de critiquer le président français en le taxant de néolibéral, insulte suprême. Non seulement ils n’assument pas leur mission d’analyser la réalité mais leur déni est risqué, écrit l’économiste Guillaume Bazot

Le Temps a publié plusieurs tribunes autour de la réforme des retraites en France et le discrédit actuel du président Macron. Lisez:
Ces dernières semaines, au moins deux tribunes ont mis le soi-disant néolibéralisme d’Emmanuel Macron à l’honneur. Dans les deux cas, le président de la République française y est décrit comme poursuivant un «projet» néolibéral structurellement incompatible avec la démocratie. Ainsi, le «passage en force» de la réforme du système de retraite, et tout ce qui s’en est suivi, ne serait que la poursuite de la mise en application de cette idéologie.
Dans Le Temps, le sociopolitologue Jean-François Bayart: Où va la France?
Dans Libération: L’historien Pierre Rosanvallon: «Il y a chez Emmanuel Macron une arrogance nourrie d’ignorance sociale»
Dans la mesure où la démonstration ne s’appuie que sur le cas français, nous pouvons légitimement nous demander: (i) si la France est le seul pays à conduire une politique néolibérale; (ii) dans le cas contraire, si les autres pays occidentaux sont aussi devenus des démocraties illibérales. De fait, la comparaison des systèmes de retraites offre un point de comparaison idéal. D’une part, le système français demeure sans doute l’un des plus administrés de tous. Ensuite, il n’a jamais été question d’incorporer la moindre dose de capitalisation, chose couramment qualifiée de néolibérale par ses détracteurs. Enfin, les autres pays ont déjà réformé leur système afin de mieux tenir compte de la pyramide des âges, et ce, le plus souvent sans la moindre violence. Mais alors pourquoi un tel discours chez les intellectuels français?
Les dépenses publiques pèsent 56% du PIB, oui, mais…
De fait, l’ajout du qualificatif «néolibéral» semble en France constituer un outil argumentatif puissant dont la seule mention a le pouvoir de discréditer. Vous êtes contre la construction des bassines, dites qu’elles sont la matérialisation d’un productivisme écocide néolibéral. Vous êtes contre l’usage du 49.3, ce dernier n’est que l’émanation institutionnelle d’un néolibéralisme antidémocratique qui place les marchés avant le citoyen. Cette méthode semble même fonctionner là où on l’attend le moins. Les dépenses publiques pèsent 56% du PIB, oui mais c’est justement ça le néolibéralisme, un Etat qui grossit pour se mettre au service des entreprises. On en viendrait presque à placer Keynes dans le camp néolibéral.
Le plus troublant est peut-être ici de constater que ces intellectuels, n’ayant aucunement conscience que le néolibéralisme tel qu’ils en font usage a perdu toute substance, s’offrent le luxe d’apposer un lien de cause à effet entre celui-ci et tous les maux de ce monde. La raison d’être de l’intellectuel est pourtant de définir consciencieusement les catégories afin d’en faire usage de manière éclairée. Ceci fait, il peut alors espérer mesurer et étudier l’objet en question, puis, éventuellement, le faire interagir avec d’autres concepts. La causalité est le stade ultime de cette rigueur et les préalables sont nombreux pour que l’analyse sous-jacente ait la moindre chance de nous informer quant au fonctionnement du monde réel.
En l’absence d’une telle rigueur, deux questions se posent. Premièrement, quelle est la valeur d’un discours construit autour d’un objet façonné pour permettre ce même discours? Autrement dit, que vaut le discours tautologique dans le débat d’idées? Deuxièmement, qu’est-ce qui au final permet de distinguer l’intellectuel du militant politique, sinon le statut?
Mais la meilleure preuve du mauvais usage de la notion de «néolibéralisme» est sans doute de constater le décalage entre ce qu’on lui attribue et la réalité. Y a-t-il eu depuis trente ans un déclassement de la classe moyenne, un creusement des inégalités de revenus, une détérioration de la mobilité sociale, une hausse de la part des revenus dédiés au capital relativement au travail, un appauvrissement de la population? Comme j’ai pu le documenter dans mon livre (L’Epouvantail néolibéral, un mal très français, PUF, 2022) à partir des données de l’Insee, de l’OCDE, du WID ou d’Eurostat, la réponse est systématiquement non (et pas uniquement pour la France). Mieux, les revenus après impôts et transferts qui ont le moins augmenté sur cette période sont ceux des 1% les plus aisés.
Qui peut sérieusement penser que notre système est aujourd’hui moins démocratique qu’il y a cinquante ans?
Il se trouve qu’il y a en France comme une idéalisation des Trente Glorieuses. Cette belle époque de la planification affiche pourtant des niveaux d’inégalités de revenu, de patrimoine et de chance bien plus importantes qu’aujourd’hui. Certes la croissance y était forte, néanmoins, le niveau de vie de l’adulte médian en 1970 était deux fois plus faible qu’aujourd’hui.
On pourrait enfin s’interroger sur l’évolution de la démocratisation de la société. En la matière, qui peut sérieusement penser que notre système est aujourd’hui moins démocratique qu’il y a cinquante ans? Pour mémoire, les affrontements durant les évènements de mai 1968 ont fait sept morts et par deux fois, les forces de l’ordre ont tiré à balles réelles. Même sur un horizon plus proche, la tendance n’est en rien alarmante. De fait, l’indice de démocratie de la France demeure stable à des niveaux élevés. En revanche s’il est un domaine où la France se classe bonne dernière des pays de l’OCDE, c’est sur le niveau de compétitivité de son système de taxation, trop complexe, trop rigide, trop lourd, bref, tout sauf néolibéral.
En tout état de cause, ces fausses alertes ne sont pas nouvelles et il ne se passe pas un jour sans qu’un intellectuel ne nous fasse part de ses inquiétudes quant à la régression sociale et démocratique de la France. Même si la vigilance demeure essentielle dans une démocratie libérale, crier au loup au moindre bruit ne peut que fragiliser notre démocratie par la défiance et le ressentiment que ceci engendre.
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