La majorité des banques suisses doit refuser le «US Program»
opinions
Seules les banques qui ont démarché activement les clients sur sol américain ont intérêt à y participer. Les banquiers qui prennent le temps de se renseigner découvriront les subtilités du «US Program» que les diplomates suisses n’ont pas vues. Par l’avocat Douglas Hornung
De plus en plus de banques s’interrogent sur l’opportunité de participer au «Program» américain et la Finma, l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers, fait le forcing pour convaincre les banques de participer à ce «US Program». Les autorités suisses et l’Association suisse des banquiers soulignent qu’à défaut de participer au «US Program», les banques s’exposent à des poursuites pénales pour «conspiration», qui menaceraient leur existence même. L’exemple de la banque Wegelin est mis en avant.
En réalité, cette crainte et cet exemple sont à écarter: en l’état, les Etats-Unis ne peuvent pas menacer d’ouvrir une enquête pénale en «conspiration» contre la plupart des banques suisses. Ils ne peuvent le faire que contre celles qui ont effectivement eu pour politique d’attirer une clientèle américaine importante et qui ont en ce sens déployé des efforts particuliers pour avoir ce type de clients. Dans ces cas, mais dans ces cas seulement, les Etats-Unis peuvent mettre la banque elle-même en péril en la menaçant de poursuites pénales pour «conspiration» si elle ne coopère pas.
Pour toutes les autres banques suisses, il n’y a aucune raison de craindre de se voir accuser de «conspiration» car elles n’ont en rien «conspiré» et n’ont fait que gérer la fortune de quelques clients américains, souvent très anciens, qui ne représentent qu’une partie infime de leur clientèle habituelle. Elles n’ont pas eu d’activités proactives sur sol américain (organisation d’événements culturels, sportifs ou mondains par exemple) et se sont contentées de traiter des clients qui venaient naturellement vers elles. Elles pourraient d’ailleurs se défendre vigoureusement, et avec succès, au cas où – bien peu probable – une telle menace se concrétisait. Cette défense serait par ailleurs moins onéreuse financièrement que le paiement des amendes prévues par le «US Program».
La participation au «US Program» repose sur d’autres bases. Le critère de base n’est pas seulement la «conspiration» mais «la violation du droit américain», en particulier du Titre 18 du Code des impôts américain (United States Tax Code) qui, à lui seul, comprend 123 chapitres… Ainsi, si la banque a fait signer un mauvais formulaire (W8BEN au lieu du W9 par exemple), elle a «violé le droit américain» et doit passer à la caisse en participant au «US Program».
Ce n’est ni raisonnable ni équitable. Et c’est donc à juste titre que de plus en plus d’établissements se refusent à cette opération qui n’est manifestement pas dans leur intérêt et qui vise à faire appliquer en Suisse le droit interne américain.
A cela s’ajoute que le «US Program » est flou et ne permet même pas de tourner la page ni de savoir exactement à quoi la banque s’expose. D’une part, il n’absout en rien les dirigeants des banques qui pourront ainsi être personnellement poursuivis. Les Etats-Unis pourront donc «se servir» une deuxième fois (puis une troisième fois en poursuivant les clients américains, puis une quatrième en poursuivant quelques gestionnaires ou avocats ou fiduciaires choisis dans la masse de données qui seront communiquées).
Bien plus: l’IRS américaine aime bien changer les règles du jeu une fois que le «fautif» s’est dénoncé. Le «US Program» pour les banques est calqué sur le programme d’amnistie mis en place par les Etats-Unis pour les particuliers (OVDP).
Quelle n’a pas été la surprise des particuliers qui se sont dénoncés dans le cadre de l’OVDP de voir que l’IRS changeait ses règles et interprétations pour leur faire payer des amendes encore plus importantes que celles qui étaient annoncées dans l’OVDP. Le Taxpayer Advocate Service, soit le service à l’intérieur même de l’IRS chargé de s’assurer que les contribuables ne sont pas abusés, s’en est d’ailleurs fait l’écho, mais sans succès, en qualifiant cette méthode de bait-and-switch («appâter puis changer»).
En un premier temps, l’IRS attire les fautifs puis change les conditions et fait payer des amendes beaucoup plus fortes que celles annoncées dans le programme. Dans cet esprit, l’IRS n’aura d’ailleurs même pas besoin de se forcer: les banques qui s’annonceront en catégorie 2 (soit celles qui admettront avoir «violé le droit américain») devront, selon le texte du «US Program», commencer par payer les amendes calculées au prix fort sur tous les comptes de clients américains, y compris les comptes déclarés. Ce n’est que dans un deuxième temps que le montant global de l’amende pourra, peut-être, être réduit (may be reduced), une fois la démonstration faite que certains clients américains étaient en réalité en ordre avec leurs obligations fiscales ou que le client américain a bénéficié de l’OVDP.
Probablement que la délégation suisse – qui a «négocié» le diktat imposé par les Etats-Unis sans être assistée d’avocats américains – n’a pas vu ce genre de subtilité. Heureusement qu’il reste quelques banquiers qui prennent le temps de se renseigner et d’examiner la situation. Ils en concluent logiquement et légitimement que ce «US Program» n’est utile que pour les établissements qui ont réellement fauté à grande échelle. Raisonnablement et logiquement, le «US Program» ne peut donc être utile qu’à une quarantaine de banques suisses. Toutes celles qui n’ont jamais eu pour politique d’attirer une clientèle américaine non déclarée devraient reprendre leurs esprits, analyser la situation objectivement et, en liaison avec des avocats américains, refuser le service après-vente de la Finma. En rappelant aux dirigeants de la Finma qu’elle-même, dans son rapport publié le 2 mai 2011, soulignait encore que «en vertu du droit suisse en vigueur depuis des décennies, et mis à part quelques cas spécifiques, l’acceptation et la gestion d’avoirs non déclarés de clients étrangers sont autorisés, et donc non punissables».
Avocat d’affaires à Genève
Les banquiers qui prennent le temps de se renseigner verront qu’ils n’ont pas intérêt à participer
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