Attablé dans une cafétéria au Petit-Lancy, Makala fredonne ce tube de Michel Berger entendu dans l’ascenseur quelques minutes plus tôt. «Comme dans mes rêves d’enfant. Je m’en irai courir dans le paradis blanc. Parler aux poissons d’argent. Comme, comme, comme avant.» Son visage s’illumine quand il évoque la «top line», cette montée en puissance qui fait décoller un morceau. La chanson française, ce n’est vraiment pas son registre, mais il admire son culot. «Il faut du courage pour faire des choix complètement fous, juste pour le kif.»
Confiance en soi
«Jvois en grand jvise le globe. Si je ne réussis pas je peux m’en vouloir qu’à moi.» Son message, la confiance en soi, est diffusé à coups de centaines de milliers de vues sur YouTube. Derrière ses airs de gentil et son attitude faussement nonchalante, Makala sait où il va. Il est «déter» comme il dit, lucide sur son évolution. En 2013 déjà, il scandait «Genève fais-moi confiance». Comme une prémonition. A peine conscient du jackpot qu’il vient de décrocher, le jeune loup raconte ses débuts dans le milieu, son année passée en mode sous-marin, à travailler sa diction, à peaufiner son flow, pour «trouver le texte qui fera briller le son».
A Bienne, sa ville natale, le gamin dissipé et tête en l’air étudie en classe spécialisée. De sa jeune enfance, il garde un souvenir flou, comme si tout avait commencé en 2002, quand sa famille déménage à Genève. Dans le quartier des Avanchets, il est le petit nouveau qui débarque, «l’autre», qui s’en prend plein la figure. Les liens avec son pays d’origine, le Congo, sont ténus, son lingala, timide. Adolescent, il se cherche et écourte rapidement les études après un ou deux ans à l’école de commerce et à l’ECG. Une carrière en costard cravate lui donne des sueurs froides. «Ce n’était pas pour moi.» Un après-midi, son copain Manu vient le chercher pour aller rapper, un peu au hasard. C’était il y a dix ans. Il choisit alors le blaze de H2O. Ce sera finalement Makala, son patronyme.
Les débuts Colors Records
L’aventure Colors Records démarre en 2010. Une photo devant un frigo vide, des rimes hardcores sur une phase B, un rythme: Thibault Eigenmann est bluffé. Avec son label indépendant, cofondé un an plus tôt avec Théo Lacroix, le chasseur de talents veut donner un élan à la scène genevoise en débusquant des jeunes motivés. Entre les deux hommes, le feeling est immédiat. Avec «La Clef», son premier album paru en 2013, Makala se fait les dents. Il ne s’arrête plus. Il expérimente, se pousse de sa zone de confort. Le freestyle ce saut dans le vide, il adore.
Sur scène, à Bruxelles, Lausanne ou Paris, son énergie électrise. «Dans mes rêves, des filles s’évanouissent en me voyant débouler», sourit-il. Derrière ses tracks à succès, le producteur Pink Flamingo, vainqueur du concours Demotape Clinic Urban en 2016. Son double insaisissable et protéiforme, comme le décrit Makala. Un partenaire et ami qui œuvre dans l’ombre. En 2014, avec «Varaignée», Makala étend son aura un peu plus loin encore.
Sur Instagram, il est Mak Giver. Un clic et sa gueule d’ange défile au ralenti sur sa story. Il toise ses quelque 7600 abonnés. Accro aux réseaux sociaux? «Pas du tout, je suis même plutôt déconnecté en ce moment.» L’univers urbain, l’ambition, le cash, l’envie de liberté habitent ses tracks. Il parle d’autodérision, des défis qu’il se lance à lui-même. «J’ai la violence dans la manière de faire. Je rappe comme si je maniais le fer, tu voudrais scanner le geste? Compte le nombre de panier que je mets, Clint Capela.» Hommage à la réussite des self-made-men. Entre les lignes, on découvre un nouveau langage: y a R, «Wayyye» ou «Kaboom». Sa référence? Rico Tha Kid. Une «pointure».
Naissance mystique
L’inspiration naît au hasard, partout. Pas de phrases griffonnées sur un bout de papier. Makala préfère écrire une note sur son smartphone ou, encore mieux, «garder l’idée en tête pour la faire tournoyer encore un peu. Elle y est plus en sécurité». De quoi parlent ses dernières lignes? Il se confie, raconte cette anecdote aux allures de légende. «Les médecins avaient certifié à ma mère qu’une grossesse était impossible. Ils ont tout fait pour la décourager. Elle a gardé la foi. Et puis je suis arrivé, juste au bon moment.» Un prophète, c’est ainsi que le décrit Thibault. La fine cicatrice qui griffe sa tempe comme un tatouage rajoute au personnage.
Aujourd’hui, c’est le jour de l’investiture de Donald Trump. Qu’en pense-t-il? «Je regarde tout ça de loin, un peu comme une sitcom. La politique est un univers étrange quoique… dans le milieu du rap aussi, il faut se faire élire.» S’identifie-t-il à la figure du rappeur poète, comme le veut la tendance? «Chacun crée son histoire, le rap peut exister pour lui-même.» La preuve, son collectif, Superwack (D-Meh, Slimka…), est un oxymore à lui seul, l’union de deux forces. «Dès que tu sors des cases, les gens pensent que tu es louche, lâche-t-il. Alors on est encore plus louche.» Comme un pied de nez aux tabous qu’il s’amuse à exploser. «J’assume. Je vais vivre du rap pour le plaisir.»
Profil
7 mars 1993 : naissance à Bienne.
2002 : déménagement à Genève.
2013 : premier album «La Clef».
2014-2015 : second album «Varaignée».
Octobre 2016 : participation à Vernier sur Rock.
Décembre 2016 : contrat chez BMG France.