Le mode de calcul des prix des médicaments doit changer
Santé
Un nouveau moyen de fixer les prix de vente des traitements fournis par l’industrie pharmaceutique doit être trouvé, selon plusieurs spécialistes réunis mardi à Genève

Il s’agit d’élaborer un nouveau moyen de calculer le prix de vente des médicaments afin de freiner l’explosion des coûts de la santé. C’est l’une des principales conclusions d’un forum, organisé par «Politico» et «Le Temps» mardi à Genève.
Une récente étude de l’institut IMS spécialisé dans la santé montre que, si le modèle de calcul des prix ne change pas, le coût du traitement des différentes formes de cancer dans le monde augmentera de près d’un tiers, à plus de 150 milliards de francs par an, d’ici à 2020.
La croissance du marché, en Asie ou en Afrique, n’est de loin pas la seule cause de cette explosion des prix. En Europe et aux Etats-Unis de nouveaux traitements combinés basés sur plusieurs médicaments sont déjà à disposition, et bientôt, de nouvelles technologies, comme l’ingénierie cellulaire, feront exploser les budgets de santé.
Inflation en oncologie
«En 2005, un médicament contre le cancer qui prolongeait la vie de cinq mois coûtait 50 000 francs. Aujourd’hui, le traitement le plus performant coûte 120 000 francs pour une nouvelle prolongation de la vie de quatre mois», souligne Agnès Buzyn, présidente de la Haute Autorité de santé en France.
Richard Bergström, directeur général de la Fédération européenne des industries pharmaceutiques, admet que la réflexion sur une nouvelle manière de calculer les prix est en route, mais il rappelle la règle du jeu actuelle, admise par toutes les autorités réglementaires. «Le temps où l’industrie pharmaceutique facturait ses produits selon le coût de fabrication est révolu. Aujourd’hui, toutes les négociations sur les prix se basent sur la valeur ajoutée du nouveau médicament prouvée par des essais cliniques.»
Le manque de transparence des données sur les coûts spécifiques de recherche et développement est critiqué par Hans-Georg Eichler, médecin chef auprès de l’Agence européenne d’homologation des médicaments (EMA). «Les entreprises doivent vraiment justifier les prix qu’elles demandent et présentent d’épais dossiers aux autorités», rétorque Richard Bergström.
Valeur ajoutée à préciser
«Mais de quelle valeur ajoutée parle-t-on? se demande Hans-Georg Eichler. Ce n’est pas celle, scientifique, tirée des études cliniques qui est importante, mais celle mesurée en termes d’impact réel sur la population.» Et dans ce domaine, c’est le flou le plus complet. «Bien sûr, on sait par exemple que le médicament Sovaldi, de Gilead, est efficace à plus de 90% contre l’hépatite C, mais cette mesure sur essais cliniques ne peut pas être, faute de données, confirmée auprès de l’ensemble des patients qui prennent ce médicament», explique Hans-Georg Eichler. «Et puis, ajoute Agnès Buzyn, il faut savoir que plus de 60% des patients des pays de l’est et du sud de l’Europe n’ont pas accès, par exemple, au dernier traitement le plus efficace contre le mélanome metastasé.»
La principale piste de nouveau modèle de fixation des prix passe par un remboursement calculé selon l’efficacité concrète du médicament sur le patient. L’avènement du Big Data, autrement dit l’analyse de données médicales à large échelle, et le suivi du dossier complet du patient favorisent la mise au point d’un tel système. Quant à Michel Pettigrew, patron du groupe Ferring dont le siège est sur la Côte vaudoise, il souhaite, en premier lieu, une simplification du mode de négociation des prix, à savoir un prix de référence fixé au niveau européen, ce qui ferait cesser les importations parallèles indirectement causées par le modèle actuel de discussion des prix pays par pays.
L’industrie pharmaceutique se dit modérément ouverte à un changement de système. «Novartis, par exemple, fixe déjà une partie du prix d’Entresto, médicament contre l’hypertension, selon son efficacité sur le patient, note Richard Bergström. Mais il faut aussi admettre que le cadre légal actuel ne permet pas de développer rapidement un tel modèle pour l’ensemble des thérapies et des entreprises.»
Elargir les critères
D’autres solutions sont aussi possibles pour freiner la hausse des coûts des médicaments. «Il faut préciser les cibles d’efficacité d’un médicament, notamment en oncologie, où le critère de prolongation de la vie est quasiment le seul pris en compte, suggère Agnès Buzyn. Il n’est pas non plus normal que le prix payé pour un médicament utilisé dans deux indications thérapeutiques soit le même, alors qu’il est moins efficace dans l’une des deux.»
La plupart des participants au forum ont aussi reconnu qu’il faut élargir le cercle des décideurs du prix d’un traitement en incluant, notamment, les associations de patients. Tout semble donc indiquer que l’industrie pharmaceutique sera incitée, ou contrainte, à revoir le modèle actuel de calcul des prix en s’appuyant sur la révolution en marche de l’analyse massive de données.
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