Zeitgeist est un concept très parlant en allemand, mais difficile à restituer en français dans toute son épaisseur. «L’esprit du temps» en est la traduction la plus proche, avec l’idée de référer à des modes de pensée transversaux qui convergent dans une même direction, exprimant un moment où se cristallise un nouvel état de la société.
Dans le courant de l’année 2012, l’Institut suisse de Rome (ISR) organisait une série de débats autour d’une intuition forte de son directeur, Christoph Riedweg: ne souffle-t-il pas un nouveau Zeitgeist, ne sommes-nous pas en train de changer d’époque? Quelques mois plus tôt, en août 2011, le philosophe italien Maurizio Ferraris avait publié le désormais fameux article Il ritorno al pensiero forte (Le retour à la pensée forte), provoquant une vive controverse publique en Italie et au-delà. Mettant en parallèle des indices variés qui tous suggèrent la même transition, il annonçait la fin du «postmodernisme» et l’émergence d’«une nouvelle saison socioculturelle», une phase de «réalisme».
Les invités des rencontres de l’ISR ont vigoureusement débattu de cette hypothèse, échangeant des arguments contradictoires en s’appuyant sur leur domaine d’excellence: architecture, art, politique, philosophie, histoire, finance, recherche, médias.
Les interventions tenues à la Villa Maraini, siège historique de l’ISR, sont désormais réunies dans le livre Discours d’actualité, édité sous la conduite de Christoph Riedweg, entre-temps de retour en Suisse. Le professeur de philologie classique à l’Université de Zurich prolonge la sortie de ce document par une discussion publique cette semaine à Genève*, à laquelle participeront, à ses côtés, l’ancienne présidente de la Confédération Ruth Dreifuss et Maurizio Ferraris.
Alors, époque de transition? Basculement dans une nouvelle ère? Quelques indices le suggèrent: la guerre aux portes de l’Europe, inimaginable il y a une année; la montée des nationalismes, partout, qui fait douter ceux qui ont longtemps cru qu’une fois établie la démocratie va de soi; la crise profonde du capitalisme financier après l’effondrement de Wall Street en 2008 – annonce-t-elle la fin de l’ultra-concentration du capital financier? Mais aussi un nouveau modèle de communication – la dissémination de l’information en temps réel sur les supports électroniques. De nouvelles mentalités, encore embryonnaires, qui empruntent les réseaux sociaux, privilégiant le partage par rapport à la propriété, le plaisir par rapport au profit (car sharing, voyages en logeant chez un habitant déniché sur site, jardins de Cocagne, logiciels libres, etc.) A ces traces s’ajoutent la redécouverte, par les jeunes, de l’engagement civique après des années d’apathie consumériste. Assez pour parler d’une transition en marche? A chacun d’en juger.
* Table ronde au Mamco, jeudi 4 septembre, 18h30: «Vers un nouveau réalisme? Sur la situation actuelle de l’art, de la philosophie et de la société»