«Mort des abeilles: l’hécatombe s’est accélérée», titrait le 20 mars dernier, La République des Pyrénées, qui pointait notamment du doigt les néonicotinoïdes. Ce sont eux qui, depuis plusieurs années, occupent le banc des accusés, ces insecticides qui agissent sur le système nerveux central des insectes. Avec, dans le rôle du procureur, de nombreux apiculteurs qui mettent en cause ces molécules pour expliquer le syndrome d’effondrement des colonies, de son nom scientifique Colony Collapse Disorder (CCD).
Plusieurs études ont mis évidence la toxicité de ces insecticides sur les abeilles et les bourdons, et la discussion sur le sujet rebondit de manière régulière. C’est «un problème de taille pour l’agriculture, puisqu’on estime qu’un tiers de ce que nous consommons dépend de la pollinisation», explique Radio-Canada dans un long format web très bien fait: «Les abeilles à miel sont les plus grands pollinisateurs. Du côté des pollinisateurs sauvages, les études sont rares, mais leur disparition est tout aussi alarmante. […] La disparition des abeilles est un phénomène mondial. Des pertes importantes sont recensées depuis une quinzaine d’années.»
Des pathologies parasites
Mais il faut relativiser, comme le fait Henri Clément, de l’Union nationale de l’apiculture française, dans Libération: «Il y a une hiérarchie dans les causes de mortalité. […] La première, ce sont les pesticides. Et pas que les néonicotinoïdes. […] Deuxième cause, la suppression des haies et la monoculture intensive: trèfle, luzerne, sainfoin ou féverole ont disparu, alors qu’ils pourraient nourrir nos animaux plutôt que le soja OGM du Brésil. Ajoutez le varroa, un acarien arrivé dans les années 80. Ou d’autres pathologies, tel le champignon nosema, qui ne flambent que s’il y a un stress, comme la présence de pesticides.»
Ce lundi, Courrier international s’est introduit dans la ruche bourdonnante des polémiqueurs qui s’écharpent sur ce qu’un dossier de la chaîne Arte appelle «Le mystère de la disparition des abeilles». Pour rappeler que le gouvernement britannique avait réfuté l’idée que les néonicotinoïdes décimassent butineuses et butineurs, «en se fondant sur une étude scientifique menée sur des bourdons». Seulement voilà, «sciemment ou non, les données ont été mal interprétées», révèle le New Scientist.
Nouveau «scandale»?
Selon lui, ce n’est rien de moins qu’«un nouveau scandale scientifique qui pointe à l’horizon», puisqu’il «concerne une étude citée il y a deux ans par le gouvernement britannique pour contrer l’interdiction temporaire de l’Union européenne» de trois pesticides prévenus de nuire. Menée par Helen Thompon, de l’Agence de recherche pour l’alimentation et l’environnement (Fera), elle n’avait trouvé «aucune corrélation claire entre la présence résiduelle de pesticides et la santé des abeilles, et notamment le nombre de nouvelles reines». Punkt Schluss.
Vraiment? Non, pas vraiment, selon Dave Coulson, de l’Université du Sussex, à Brighton, «qui vient de réexaminer les données» et de publier un article très fouillé à ce sujet dans la revue PeerJ. Avec de nombreuses statistiques sur la présence de pesticides dans le nectar des abeilles et des résultats qui semblent difficilement contestables sur le fait que «les bourdons sauvages présents sur les terres agricoles souffrent effectivement de l’exposition aux néonicotinoïdes»: «Leur système nerveux est perturbé, ils sont plus sensibles aux autres facteurs de stress et sont désorientés dans leur recherche de pollen» que s’ils butinent en des endroits non exposés.
«Mortes ou pétrifiées»
Pendant ce temps, un apiculteur amateur à Wormhout, en France, vient de raconter dans La Voix du Nord «le décès de milliers d’abeilles dans ses ruches cet hiver»: «Tout est à reconstruire», soupire-t-il. «Lors de la visite de printemps à ses trois ruches», il a découvert l’hécatombe «avec stupeur»: «Toutes les abeilles étaient mortes ou pétrifiées: un vrai désastre. […] J’ai perdu 150 000 abeilles en un seul hiver. Cette année, je n’aurai pas le plaisir de récolter mon miel. Il faut repartir de zéro, nettoyer les ruches pour éradiquer ce qui a provoqué la mort des abeilles, recueillir une nouvelle colonie»…
Alors, qui a raison? Des erreurs d’interprétation peuvent se produire «dans les publications scientifiques. C’est rare, mais il y a eu des précédents», commente dans le New Scientist James Cresswell, spécialiste des abeilles à l’Université d’Exeter, qu’on a tout de même un peu de mal à croire. Surtout quand il est avéré, selon un rapport de l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN) publié le 19 mars dernier, «près de 10% des espèces d’abeilles sauvages sont en voie d’extinction en Europe».
«Fucking complicated»
«Reste que les effets des pesticides ne sont pas si faciles à démontrer», poursuit Courrier int’. «La surmortalité des abeilles dépend de plusieurs facteurs, parmi lesquels les perturbations du climat, les virus, parasites et autres vecteurs d’épidémies, la disparition des ressources naturelles, et bien sûr, les pesticides», rappelle pour sa part le magazine américain Wired: «C’est complexe», titre-t-il: «Bees are fucking complicated.» Et, ajoute la revue, «il est normal que les médias cherchent à simplifier» la problématique des productrices de miel.
«Les frelons asiatiques et de mauvaises conditions météorologiques n’aident pas», précise de son côté L’Obs, dans une forme de résumé des arguments utilisés par une industrie chimique comme Syngenta. Maurice Puthod, apiculteur depuis 60 ans, fait part dans le magazine français de son expérience, passionnante, mais aussi un peu désespérante.
«Le lisier détruit la flore»
«Le lisier, dit-il, qui n’est plus exclusivement composé de fumier de vache, détruit la flore. Les herbes sont coupées trop vite par les agriculteurs et les abeilles souffrent de cette pénurie. Certaines générations n’en voient jamais la couleur. […] Dans les années à venir, mon métier est certainement voué à disparaître. La seule chose qui pourrait encore le sauver serait de modifier le comportement de nos agriculteurs, qu’ils laissent enfin les fleurs fleurir.»
Laisser les fleurs fleurir. Ça a l’air tout simple, et c’est un message printanier qu’on apprécie à sa juste valeur.
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