Sur les réseaux
L’homicide perpétré dimanche à Cleveland et diffusé en ligne relance l’éternel débat sur la gestion des contenus violents. Une vaine ambition?

Tuer en direct ne fait pas partie des nombreuses fonctionnalités offertes par Facebook. Dimanche dernier pourtant, Steve Stephens, un Américain de 37 ans, s’est filmé en train d’abattre un inconnu à bout portant. Diffusées en temps réel sur la plateforme de Mark Zuckerberg, ces images repoussent les limites de l’horreur. Après une série de drames similaires, ce énième dérapage morbide relance le débat autour de la modération sur les réseaux sociaux. Comment repérer les contenus violents? Quels sont les garde-fous mis en place pour empêcher leur diffusion?
Please please please stop retweeting that video and report anyone who has posted it! That is my grandfather show some respect #Cleveland
— Ryan A. Godwin (@god_winr) 16 avril 2017
Tout de suite après avoir mis en ligne sa vidéo, l’auteur du meurtre, s’est targué sur Facebook Live d’avoir commis 13 autres homicides mais aucun n’a pu être identifié. Activement recherché, l'homme s'est suicidé mardi soir, selon la police de Pennsylvanie.
Steve Stephens was spotted this morning by PSP members in Erie County. After a brief pursuit, Stephens shot and killed himself.
— PA State Police (@PAStatePolice) 18 avril 2017
Si son compte a été désactivé après la publication de la vidéo, celle-ci est néanmoins restée visible durant plus de deux heures. Cela malgré l’appel désespéré du petit-fils de la victime, un homme âgé de 74 ans: «S’il vous plaît, arrêtez de retweeter cette vidéo et signalez tous ceux qui la postent. Il en va du respect de mon grand-père.»
Facebook Live devenu «Facebook Death»
A l’origine, l’outil Facebook Live, lancé il y a tout juste un an pour concurrencer Periscope, permettait d’immortaliser des instants de vacances, la frénésie d’un concert ou encore les premiers pas de son neveu. Bref, le quotidien dans toute son inoffensive spontanéité. Très vite cependant, la fonctionnalité a également servi à abriter les expériences les plus sordides. Jusqu’à capturer la mort en ligne.
Et la liste est longue. Le 14 février dernier aux Etats-Unis, un enfant de 2 ans et son oncle périssaient dans une fusillade filmée par des riverains. Le même jour en République dominicaine, deux journalistes décédaient eux aussi sous les caméras. Fin août, un homme-oiseau perdait la vie sous les yeux de ses proches suspendus à ses exploits dans les airs. Ces multiples drames avaient valu à Facebook Live le surnom de Facebook Death. Autre plateforme, même constat: Periscope où une jeune adolescente française avait filmé son suicide pour la première fois en mai 2016.
Nous retirons des images violentes quand elles sont partagées par plaisir sadique ou pour célébrer ou glorifier la violence
Capables de censurer la nudité, les algorithmes des réseaux sociaux demeurent incapables de repérer un meurtre ou une action terroriste. Sur son site, Facebook précise: «Nous retirons des images violentes quand elles sont partagées par plaisir sadique ou pour célébrer ou glorifier la violence.» Dimanche, un porte-parole du géant bleu a rappelé dans plusieurs médias que le réseau social «travaillait dur pour que Facebook reste un réseau sécurisé et qu’il était en contact avec les forces de l’ordre quand il y avait des menaces physiques directes».
Les paradoxes de Facebook
Reste que la censure des contenus violents demeure un enjeu crucial, en particulier lorsqu’ils sont importants d’un point de vue judiciaire. Avant d’être supprimées, les vidéos sont souvent copiées et mises en ligne sur YouTube. Après l’introduction du bouton alerte suicide pour repérer les usagers en détresse, Mark Zuckerberg souhaite aller plus loin. Il y a deux mois, il a publié une liste de mesures pour répondre aux «défis de l’humanité». L’introduction d’un «système de contrôle personnel» figure au programme.
Pour l’heure, le drame de Cleveland révèle une nouvelle fois les failles de Facebook, plus prompt à censurer une œuvre d’art qu’à repérer une attaque à main armée. Alors que la chasse à l’homme se poursuit, l’intelligence artificielle paraît plus que jamais démunie pour gérer les faits et gestes de quelque 1,86 milliard d’usagers. Etre confronté à la mort en direct est-il décidément un corollaire inévitable pour pouvoir jouir en tout temps du partage tous azimuts?
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