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Le multilatéralisme n’est pas mort

OPINION. Dans le Pacifique, on assiste à de grandes manœuvres commerciales, constate notre chroniqueur Frédéric Koller au lendemain de la confirmation du plus ambitieux accord de libre-échange de ce début de siècle

Réunion des représentants des onze Etats signataires du Partenariat transpacifique global et progressiste (CPTPP). Nouvelle-Zélande, mars 2018. — © AP Photo/Esteban Felix, File
Réunion des représentants des onze Etats signataires du Partenariat transpacifique global et progressiste (CPTPP). Nouvelle-Zélande, mars 2018. — © AP Photo/Esteban Felix, File

A la fin de l’année entrera en vigueur le traité de libre-échange le plus ambitieux de ce début de siècle: le Partenariat transpacifique global et progressiste (CPTPP, selon l’acronyme anglais). Sa ratification par l’Australie, cette semaine, permet à la majorité des 11 Etats signataires d’aller de l’avant, avec pour locomotive le Japon et le Canada. En quoi est-il global et progressiste? Cet accord pourrait donner le la pour les nouveaux standards de la libéralisation commerciale dans un cadre multilatéral. Il ne s’agit plus simplement d’abaisser des droits de douane comme par le passé, mais de lever nombre d’obstacles non tarifaires, de déterminer des normes dans le commerce électronique et les services financiers, d’introduire des codes de conduite en matière de respect du droit du travail, de la propriété intellectuelle et de la protection de l’environnement entre des pays diversement développés.

Un autre monde

Ce partenariat se fera sans son principal concepteur, les Etats-Unis. Vous l’aviez oublié? Les Etats-Unis avaient poussé à leur paroxysme la logique multilatérale héritée de la fin de la guerre froide. C’était encore vrai il y a moins de deux ans. C’était sous Obama. Ce premier «président du Pacifique» avait une conviction: alors que l’OMC était paralysée, les règles du commerce mondial se décideraient dans cette région, car elle est le principal relais de croissance pour les décennies à venir. Soit les Etats-Unis en dessinaient les contours, soit la Chine occuperait le terrain pour imposer ses propres normes. L’idée n’était pas d’exclure Pékin, principal concurrent de Washington, mais de l’obliger à s’aligner sur des pratiques élaborées par les Etats-Unis et leurs alliés, en se fondant sur le droit international. Ce premier ensemble de 12 pays représentaient 40% du commerce mondial (on parlait alors du TPP). Il était en mesure de faire la différence.

Pendant ce temps-là, l’Europe reste comme figée, incapable de dessiner sa propre voie

Entre-temps, nous avons basculé dans un autre monde. La première décision de Donald Trump, au premier jour de sa présidence, fut de dénoncer cet «accord désastreux pour les emplois américains» pour imposer son agenda protectionniste. Les Etats-Unis ayant jeté l’éponge, les 11 du CPTPP ne représentent plus que 14% du commerce mondial. Mais déjà d’autres pays, le Royaume-Uni post-Brexit, la Thaïlande, la Corée du Sud, se montrent intéressés.

L’initiative de Pékin

De son côté, la Chine, qui se présente désormais comme un champion du multilatéralisme, défend son propre projet de libre-échange régional avec les dix pays de l’Association des nations du Sud-est asiatique (ASEAN), le Japon ou encore l’Inde: le Partenariat économique intégral régional (RCEP). Celui-ci est plus modeste, il reste pour l’essentiel ancré dans l’ancien monde des abaissements douaniers. Il n’en participe pas moins à stimuler la négociation en Asie-Pacifique, alors que Pékin promeut par ailleurs son modèle de développement à travers les «Routes de la soie» en direction de l’Ouest, jusqu’en Europe et en Afrique.

Pendant ce temps-là, l’Europe reste comme figée, ayant suspendu les négociations sur le TTIP (pendant atlantique du TPP), incapable de dessiner sa propre voie face aux ruades d’un Donald Trump et aux rodomontades de Xi Jinping. Ces deux-là, engagés dans un bras de fer, finiront bien par trouver un terrain d’entente, en bilatéral. Les Européens pourraient en récolter des miettes en termes d’ouverture du marché chinois. Ils pourraient aussi rester en marge d’une dynamique commerciale qui se joue hors de leur champ d’influence, autour du Pacifique, où le multilatéralisme bouge encore.