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Les musulmans, toujours «indésirés» en France

OPINION. La chaîne de magasins d’équipement sportif française a retiré de la vente un «hidjab de running». Le débat enflammé sur le port de ce voile redit la difficulté, pour une partie de la population musulmane, de se faire accepter comme telle dans le pays

Manifestation contre la candidature du président algérien Bouteflika à Paris, place de la République, 24 février 2019. — © STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
Manifestation contre la candidature du président algérien Bouteflika à Paris, place de la République, 24 février 2019. — © STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Le titre de l’ouvrage est très bien choisi. Pour parler des musulmans de France, notre confrère Antoine Menusier a choisi d’intituler son essai Le livre des indésirés*. Le mot est fort, mais il décrit bien la réalité que la polémique autour du «hidjab sportif» de Decathlon a de nouveau attisée.

Même si les statistiques ethniques sont impossibles en France, l’on estime que cinq à six millions de musulmans vivent sur le territoire de la République, le plus souvent issus de l’immigration maghrébine. Une grande majorité d’entre eux ont la nationalité française, parfois héritée de l’époque coloniale. Mais le lien reste fort avec leurs pays d’origine. Ils étaient encore des milliers, dimanche 24 février, à protester à Paris contre la nouvelle candidature annoncée du président algérien Abdelaziz Bouteflika, dont personne ne sait – sauf ses médecins genevois – s’il est encore en état de diriger son pays.

A ce propos: Abdelaziz Bouteflika est soigné aux Hôpitaux universitaires de Genève

Oui, ils sont «indésirés»

Or ces musulmans de France restent bel et bien «indésirés». Au pays de la laïcité, où l’assimilation républicaine est érigée comme règle, le malaise reste patent après des décennies, exacerbé par les nouvelles pratiques religieuses liées, incontestablement, à l’affirmation mondiale de l’islam et à la quête d’identité des jeunes.

En matière de voile, «la provocation peut avoir quelque chose de «plus fort» que la volonté de son auteur», relève Antoine Menusier, qui fut collaborateur du Temps et de L’Hebdo et dirigea la rédaction du Bondy Blog, mis en place par l’hebdomadaire suisse après les émeutes des banlieues françaises de 2005. Et d’expliquer: «Les lois anti-voile de 2004 et 2010, quand bien même avaient-elles reçu l’assentiment soulagé de nombreux musulmans, évoquaient des cérémonies de «dévoilement» de femmes indigènes organisées par l’armée française durant la guerre d’Algérie – aux fins de les émanciper de leurs conditions de soumises, avait alors prétendu l’administration coloniale. C’était en raison de ces images pénibles que des Françaises, d’origine maghrébine, généralement non voilées, exigeaient que soit reconnue la possibilité du voile en France.»

Blessures coloniales jamais cicatrisées, revendications identitaires transformées en oukases par certains imams et certains «grands frères», sentiment d’une laïcité dirigée contre l’islam… Quel douloureux imbroglio!

Le «hidjab» révélateur

J’ai lu ces phrases sur les «indésirés» en prenant connaissance, via Twitter, de la mise en vente par Decathlon d’un «hidjab» de running destiné aux jeunes femmes désireuses de couvrir leurs cheveux lorsqu’elles courent. La violence des réactions et leur abondance, ainsi que les agressions verbales sur les vendeurs selon la direction de Decathlon, ont aussitôt entraîné le retrait de l’objet du délit. On repense aussitôt à la polémique estivale autour du burkini en 2016.

Lire aussi:  Des hidjabs chez Decathlon, la course à la polémique

Normal? A voir. Quand l’ex-journaliste de Charlie Hebdo Zineb El Rhazoui explique que «le voile fait partie du package idéologique qui mène au terrorisme», son propos doit interpeller. Les dérives de l’islam radical, et le carcan qu’il fait peser sur les femmes, sont une réalité incontestable. Les tentatives islamistes de restreindre la liberté d’expression sont légion. Mais là, on parle de sport, de course à pied, donc de pratiques qui, justement, favorisent les libertés individuelles et l’égalité hommes-femmes dans les stades. Le «hidjab» sportif rime-t-il avec le port de la burqa, le voile intégral? J’avoue mes doutes.

Les «gilets jaunes» ont-ils un fond raciste?

J’ai aussi repensé à cette notion d’«indésirés» lors d’une discussion cette semaine sur les «gilets jaunes» au Graduate Institute de Genève, à l’invitation du professeur Jean-François Bayart, expert ès religions et politique. Un de ses collègues américains a posé la question qui fâche: y a-t-il du racisme chez les «gilets jaunes»? En clair: leur mal-être n’est-il pas aussi dirigé contre les «Arabes des banlieues» qui, selon l’extrême droite, «aspirent» le budget social de l’Etat? Ma propre gêne à répondre fut significative. Oui, j’ai entendu ces thèses sur les ronds-points. Oui, les aides sociales accordées aux immigrés font débat en France. Oui, les «gilets jaunes» sont avant tout blancs de peau, et a priori de culture chrétienne. Alors, «racisme» ou non?

Conclusion: alors que le fléau de l’antisémitisme remonte à la surface, attisé par l’islam radical, il est de plus en plus difficile de parler des musulmans de France sans biaiser le débat. Antoine Menusier met sa plume dans la plaie lorsqu’il cite l’ambiguïté d’une enquête passée du Monde sur l’antisémitisme: «Une enquête sans concession hormis celle-ci, écrit-il. Nulle part ne figuraient les mots «islam» et «musulmans» malgré le poids du conflit israélo-palestinien.» Le tabou des identités reste, dans l’Hexagone, une grenade dégoupillée.

*Antoine Menusier, Le livre des indésirés, Editions du Cerf, 364 p.

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