La Banque nationale suisse (BNS) avait-elle imaginé l’onde de choc qu’elle a provoquée jeudi? Devant la presse, ses responsables se sont montrés sûrs de leur décision d’abandonner le taux plancher, alors qu’industriels, économistes et politiques hurlaient au scandale et que le marché s’effondrait. On peut se demander si elle a fait preuve de naïveté sans se rendre compte qu’elle mettait en danger sa crédibilité.
La banque centrale a-t-elle oublié son rôle de stabilisateur du marché et de l’économie, alors que certains distributeurs de billets ne donnaient plus d’euros parce que les banques ne savaient plus quel cours appliquer? Les grands argentiers ont-ils réalisé le couac de communication qu’ils ont créé alors que, il y a trois jours, le numéro deux de la BNS lui-même rappelait le rôle pivot du taux plancher pour l’économie suisse? Et tandis qu’à Washington Christine Lagarde, directrice du FMI, se disait surprise de ne pas avoir été informée? A la fin de la journée, l’incompréhension et la fureur régnaient toujours.
La BNS a voulu prendre les devants. Déjà sous pression alors que la crise semble reprendre dans la zone euro, l’institution a sans doute cherché à anticiper la décision attendue la semaine prochaine de la Banque centrale européenne, qui s’apprête à lancer un programme de rachat massif de dette. Ce dernier fera baisser l’euro et donc provoquera de nouvelles pressions sur le franc. Plutôt que de s’avouer vaincue si le taux plancher s’effondre, la BNS a agi.
Une anticipation qui risque de coûter cher à l’économie suisse. Toute l’industrie d’exportation peut désormais s’attendre à un franc plus fort, même s’il est probable qu’il se stabilisera à un niveau moins élevé que les pics atteints jeudi. Pire, elle devra à nouveau vivre avec l’incertitude, ce qu’elle considère comme l’un des pires fléaux, car cela remet tous ses plans en question. Du côté de l’emploi aussi, l’inquiétude peut refaire surface.
En quelques secondes, la BNS a changé de modèle. D’une économie protégée par un taux plancher, elle est revenue à une politique libérale. A long terme, c’est souhaitable. La mesure, décidée il y a un peu plus de trois ans, était provisoire. Les taux d’intérêt négatifs auront un effet atténuant. Mais la brutalité de l’annonce risque de faire des dégâts, bien au-delà de la secousse ressentie sur les marchés jeudi.